Leur mandat est usant pour leur santé. » C’est ce qu’éprouvent 83 % des maires, selon une étude du Centre de sociologie des organisations (Sciences Po et CNRS), publiée en novembre 2024 avec le soutien de l’AMF. Sentiment de lassitude et d’impuissance, le mandat local ne fait plus rêver. Alors que l’inflation des normes et le désengagement de l’État en ont fait abandonner plus d’un, les violences verbales et physiques sont aussi une des causes du blues des maires. Cet été encore, l’agression perpétrée contre le maire de Villeneuve-de-Marc, Gilles Dussault, poignardé devant son domicile, témoigne des tensions intenses qui montent dans la société. En 2023, 2 387 agressions verbales ou physiques avaient été commises à l’encontre d’élus locaux, selon un recensement du ministère de l’Intérieur.
Une réponse partielle à la crise démocratique
Face à ces situations, plusieurs parlementaires de tous bords politiques se sont réunis pour déposer une proposition de loi visant à créer un véritable statut de l’élu local, allant jusqu’à réserver une section du Code général des collectivités territoriales (CGCT) à ce sujet. Conscients que cette initiative ne peut être qu’une réponse partielle aux maux qui rongent la démocratie, leur objectif est de raffermir les protections et les droits des élus locaux, comme le demande l’ensemble des associations d’élus, AMF en tête.
Déposé le 18 janvier 2024 par les sénateurs Françoise Gatel, Mathieu Darnaud, François-Noël Buffet, Bruno Retailleau et Hervé Marseille, le texte a été cosigné par 309 sénateurs, dont Patrick Kanner, François Patriat, Cécile Cukierman, Claude Malhuret et Maryse Carrère, donnant ainsi une tonalité transpartisane au texte. Le 10 juillet 2025, la « proposition de loi visant à encourager, à faciliter et à sécuriser l’exercice du mandat d’élu local » a été adoptée en première lecture par les deux chambres. Elle devrait l’être définitivement d’ici le congrès des maires à l’automne… Sitôt nommé Premier ministre, Sébastien Lecornu s’est engagé à créer un statut de l’élu local avant les municipales. Dans le détail, le texte vise trois objectifs.
Une meilleure rémunération dans les petites communes
D’abord, l’amélioration du régime indemnitaire des élus locaux. La proposition de loi rehausse le plafond des indemnités de fonction des maires et des adjoints dans les communes de moins de 20 000 habitants. Concrètement, un maire d’une commune de moins de 500 habitants pourrait voir son indemnité portée à 1 155 euros contre 1 048 euros en 2024. La mesure pourrait coûter annuellement 112 millions d’euros pour les communes. Dans le même temps, le texte prévoit de majorer les droits à la retraite d’un trimestre par mandat complet pour l’ensemble des élus locaux. Pour financer ces mesures, la proposition étend notamment aux communes de moins de 3 500 habitants le bénéficie de la dotation particulière élus locaux versée par l’État. Un rapport annuel du Parlement devra en outre présenter le coût pesant sur les communes du fait des attributions exercées par les maires au nom de l’État, dont toutes les missions d’officier d’état civil, l’application des mesures de sûreté générale ou encore l’application des lois et règlements sous l’autorité du préfet.
Ensuite, la proposition de loi se donne pour objectif d’améliorer les conditions d’exercice du mandat. D’abord d’un point de vue matériel, avec l’obligation de remboursement des frais de transport et de séjour engagés par les élus lorsqu’ils représentent leur collectivité. Une obligation de compensation par l’État des frais de transport et des frais spécifiques engagés par les communes de moins de 3 500 habitants est en outre créée. La visioconférence devient quant à elle possible pour les réunions de commission des conseils municipaux ainsi que pour les bureaux des EPCI.
Code du travail et mandat local
Puis, le texte se penche sur la conciliation du mandat avec l’activité professionnelle. Il va notamment renforcer les temps d’absence et permettre à l’employeur de rémunérer les temps d’absence liés à l’utilisation des crédits d’heures. Le Code du travail sera aussi complété des mesures dédiées aux élus locaux. L’exercice du mandat devra être pris en compte lors des entretiens professionnels. Des aménagements spécifiques seront même créés pour les élus étudiants. En outre, les particularités des élus en situation de handicap seront mieux reconnues avec la prise en charge des frais engagés pour préparer les séances du conseil et non plus uniquement pour y assister. Un référent inclusion des élus locaux handicapés sera même installé dans chaque préfecture.
Autre avancée, le nombre de jours de congé formation des élus locaux sera augmenté. Au cours des six premiers mois du mandat, les élus auront de plus l’obligation de suivre une information sur différents thèmes, dont les droits et obligations locales, la déontologie, mais aussi les enjeux liés à la place des femmes dans la vie politique et l’identification des comportements à caractéristiques d’infractions sexistes ou sexuelles, ainsi qu’une sensibilisation sur les risques psychosociaux.
Frais de garde d’enfants
La proposition de loi va aussi renforcer les garanties des élus dans la conciliation de leur mandat avec leur vie personnelle. La compensation par l’État des frais de garde pour la participation aux réunions liées à l’exercice du mandat est étendue aux communes de moins de 10 000 habitants. Concernant l’arsenal judiciaire, le texte va aussi redéfinir l’infraction de prise illégale d’intérêt en excluant les intérêts publics de la définition. La mesure est particulièrement attendue des élus locaux. La protection fonctionnelle devient automatique pour les élus victimes de violences, de menaces ou d’outrages. La proposition ne s’arrête pas là, elle prévoit diverses mesures d’accompagnement des élus en fin de mandat, avec par exemple l’accès automatique à la validation des acquis de l’expérience et au bilan de compétence pour les maires et leurs adjoints.
Applicable dès sa publication, le texte est d’une portée inédite, car il va rassembler toutes les mesures relatives aux élus locaux dans une section du CGCT, facilitant ainsi leur connaissance par les intéressés. Aujourd’hui, seul un document de synthèse rédigé par l’AMF, mais n’aillant pas valeur de loi, permet cette lecture. Cette avancée questionne aussi la professionnalisation des élus locaux. Entre engagement citoyen bénévole et activité à plein temps, l’élu local français oscille. Enfin, reste à savoir comment les intéressés se saisiront de ces nouveaux droits, après le renouvellement général de mars 2026.
Collaborateurs de cabinet : vers de nouveaux droits
Clarifier le rôle des collaborateurs de cabinet pour sécuriser l’action publique locale. C’est l’esprit de la proposition de loi portée par le sénateur de la Savoie, Cédric Vial. Ce texte, qui vise à clarifier, encadrer et sécuriser juridiquement le rôle des collaborateurs de cabinet au sein des collectivités territoriales, a été déposé en juillet au Sénat. Cette initiative transpartisane est aussi portée par Jérôme Durain, sénateur de la Saône-et-Loire (groupe Socialiste), et Bernard Delcros, sénateur du Cantal (groupe Union centriste), président de la Délégation sénatoriale aux collectivités territoriales. Le texte reprend les principales recommandations du rapport d’information publié en juin 2024 sur le sujet et co-rédigé par Cédric Vial et Jérôme Durain.
Dans le détail, la proposition de loi définit les missions du collaborateur de cabinet qui « assiste, accompagne, conseille, relaie et représente l’autorité territoriale. Il participe à l’élaboration de la stratégie de la collectivité, veille à la déclinaison et à la mise en œuvre de cette stratégie et concourt à la promotion de la collectivité et de son action ». Fait nouveau, le texte inscrit la possibilité pour ces collaborateurs d’exercer une autorité fonctionnelle sur certains services, ce qui crée un certain émoi du côté des directions générales des services. La proposition va même jusqu’à indiquer que les collaborateurs peuvent émettre « un avis simple sur le recrutement et l’évaluation des agents de ces services ». Au-delà, le texte permet l’affectation de collaborateurs à des vice-présidents de conseils régionaux ayant reçu une délégation. Enfin, la proposition de loi rend possible le remplacement de collaborateurs absents par un agent contractuel. Le texte n’a pas encore été inscrit à l’agenda parlementaire.







