DOSSIER

Les data centers à la conquête des territoires

Ils poussent à un rythme soutenu, partout sur le territoire. Et ce n’est pas fini : les data centers sont les supports indispensables à la numérisation croissante de nos sociétés. Mais l’implantation de ces fermes de serveurs n’est pas neutre. Elle mobilise d’importantes ressources foncières, en eau et énergie. Les collectivités ont donc tout intérêt à prendre la question au sérieux.
La rédaction
Claude Mounissens
Publié le 21 octobre 2025

Les data centers connaissent un développement fulgurant. Et pour cause : il faut faire face au stockage massif de données sensibles, personnelles, industrielles et stratégiques, et à la montée en puissance de l’intelligence artificielle générative ces trois dernières années. L’hébergement, le traitement et le transit des données nécessaires au bon fonctionnement de la majorité des services numériques sont de plus en plus gourmands en capacité.

L’accélération de la numérisation de nos sociétés place les data centers au cœur de l’agenda politique et des projets de développement économique, voire d’aménagement du territoire. Ils sont devenus des actifs immobiliers au cœur d’une compétition internationale. Pour autant, à l’échelle des territoires, leur développement spectaculaire impacte des enjeux cruciaux : énergie, eau, environnement, emploi, souveraineté.

Un e-mail envoyé, une recherche en ligne, une vidéo regardée en streaming, la consultation d’un itinéraire, la météo et bien d’autres activités au quotidien sont désormais hébergés dans un data center. Au cœur des transformations des villes et des territoires, le numérique, la captation et l’utilisation en temps réel de la data sont des sujets aujourd’hui stratégiques. Il est ainsi possible d’optimiser les réseaux d’eau, d’énergie, les transports, de réduire l’impact environnemental, de renforcer la sécurité.

La France compte aujourd’hui plus de 300 data centers et se place ainsi au 6e rang mondial. Lors du Sommet pour l’action sur l’intelligence artificielle, en février dernier, Emmanuel Macron a fixé l’objectif de 109 milliards d’investissements privés, français et étrangers, consacrés à l’IA, principalement dans les centres de données.

Le gouvernement vise une cinquantaine de sites favorables à l’installation de centres de données pour un total de 12 000 hectares. Les data centers poussent à un rythme très soutenu. Près d’un tiers se situe en Île-de-France. L’autre gros hub est à Marseille, en raison de l’arrivée des câbles de télécommunications sous-marins. À Cambrai, dans le Nord, un mégasite, à hauteur de 10 milliards, est proposé par l’opérateur français Data4 et son actionnaire canadien Brookfield, avec une capacité maximale d’un gigawatt, soit l’équivalent de la totalité actuelle des data centers en France. Un projet d’ampleur équivalente, porté par le nouvel acteur français DataOne, soutenu par des fonds émiratis, a été annoncé en Isère. Nvidia, MGX et Mistral ont confirmé, lors du sommet Choose France en mai dernier, leur intention de bâtir un campus IA doté d’une puissance de 1,4 gigawatt, avec une première tranche d’investissement à hauteur de 8,5 milliards d’euros, en partenariat avec Bouygues, EDF et Bpifrance. Vitry-sur-Seine va remplacer son dépôt pétrolier historique, après un siècle d’activité, par un grand data center. Google envisage d’en implanter un sur une surface de 200 hectares dans l’agglomération de Châteauroux, ce qui serait son premier site dans l’Hexagone.

L’atout électrique

Du côté de l’Union européenne, Ursula von der Layen, présidente de la Commission européenne, a renchéri, tout juste après le sommet pour l’IA à Paris, avec la présentation du projet InvesAI visant à réunir 200 milliards d’euros d’investissements dans l’IA en Europe. La majorité des investissements en France et en Europe sont étrangers et non européens. Ce qui pose directement la question d’une menace en matière de souveraineté.

Si la France est aujourd’hui dotée d’une forte dynamique dans cette compétition internationale et européenne pour accueillir les principaux acteurs dans le marché des data centers, elle le doit d’abord à son parc nucléaire et à sa capacité à proposer une énergie déjà disponible, stable, « îlotable », décarbonée, à un prix compétitif. EDF vient d’annoncer début septembre la signature d’un contrat d’approvisionnement d’électricité nucléaire avec l’opérateur de centre de données français Data4. Premier du genre en France, il consiste à allouer une quote-part de la puissance du parc nucléaire en exploitation de 40 MW, pour une durée de 12 ans, à partir de 2026. EDF s’active à nouer des contrats avec les grands industriels les plus énergivores, dont les opérateurs de centre de données qui nécessitent des quantités colossales d’électricité.

Près de la moitié de notre empreinte carbone

En janvier 2025, l’Ademe et l’Arcep ont publié un rapport consacré à l’impact environnemental du numérique en France. Les deux agences publiques estiment que le numérique représente aujourd’hui 4,4 % de l’empreinte carbone française. Sur ce total, les data centers pèsent, à eux seuls, 46 % de cette empreinte. L’étude indique que les émissions pourraient tripler d’ici 2050 si les tendances actuelles se poursuivent.

Autre élément du rapport, « les équipements et infrastructures numériques sont responsables de 11,3 % de la consommation électrique française ». Les data centers en concentrent un quart, soit 2,8 % du total national, une part qui pourrait plus que doubler d’ici 2050 pour atteindre les 6 %. Une seule question posée à ChatGPT consomme autant d’énergie qu’une heure d’éclairage avec une ampoule LED. Vertigineux…

Le réseau électrique va-t-il suivre cette fulgurante montée en charge ? Des investissements sont d’ores et déjà annoncés par RTE, mais des incertitudes pèsent sur la disponibilité, à si court terme, d’une énergie suffisante. D’autant que d’autres secteurs ont besoin, eux aussi, dans le cadre de leur transition énergétique, d’un accès croissant aux énergies « propres ». À terme, les data centers menacent-ils de freiner la sortie des énergies fossiles ?

Pour répondre aux préoccupations climatiques, les projets les plus récents insistent sur une plus grande sobriété énergétique et sur le fort potentiel de la chaleur fatale, générée par les équipements informatiques de ces installations, de plus en plus prises en compte. Les calories récupérées serviront à alimenter le réseau de chaleur d’équipements à proximité. Concernant le projet de data center à Vitry-sur-Seine, la production de chaleur du centre de données servira pour chauffer une partie de la commune.

Autre sujet très sensible, les data centers consomment d’énormes quantités d’eau pour assurer leur fonctionnement. En 2023, Microsoft a ainsi utilisé 7,8 milliards de litres d’eau pour ses seuls data centers (22 % de plus qu’en 2022). Quant à Google, 24 milliards de litres ont été consommés sur la même année… Une récente directive européenne impose aux data centers de plus de 500 kWh une plus grande transparence sur leur consommation d’eau.

Quelles garanties pour les citoyens et les élus locaux ?

L’accaparement de ressources communes, notamment en électricité et en eau, par les data centers va devenir un sujet au cœur du développement local de nos territoires. Un sujet qui ne doit pas être réservé à des cercles de spécialistes mais qui doit faire l’objet d’un débat public et citoyen de qualité, éclairant les principaux enjeux. Pour certaines des collectivités locales, le sujet est déjà inscrit à l’ordre du jour des prochaines élections. D’autant que les opérateurs peuvent aussi bénéficier de facilitations juridiques et administratives, quitte à déroger à des règles d’urbanisme et de protection de l’environnement. Dans le récent projet de loi de simplification de la vie économique, voté par l’Assemblée nationale le 17 juin dernier, l’article 15 veut ainsi permettre l’installation de data centers d’envergure (40 hectares au minimum) en leur attribuant le statut de « Projet d’intérêt national majeur » (PINM). Le parcours législatif est dans l’attente d’une commission mixte paritaire.

Quelles garanties pour les élus locaux et pour les citoyens de pouvoir être consultés et associés lors d’un projet d’implantation de data center ? Avec le statut de « Projet d’intérêt national majeur », les projets de construction feront l’objet d’une décision de l’État, sans consultation des élus locaux. Des associations demandent aujourd’hui un moratoire de deux ans sur la construction de data centers d’envergure, le temps d’un débat public sur les modalités de leur installation et leur encadrement, sur la nature de la trajectoire numérique.

Un grand nombre de collectivités locales s’interrogent aujourd’hui quant à l’installation de data centers qui génèrent peu d’emplois, 45 000 pour le secteur en France, dont seulement 28 000 directs, en incluant les emplois liés à la construction des bâtiments, avec un impact environnemental de plus en plus critiqué. C’est le cas à Marseille. Mettant en avant la préservation de son foncier et la volonté de le valoriser avec des activités à plus fort potentiel d’emploi, la ville vient de décider de refuser tout nouveau projet une fois achevé la construction de MRS5, le cinquième data center phocéen de Digital Realty.

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