La situation internationale et le conflit au Proche-Orient mobilisent l’attention, au-delà des polémiques, quelles seraient, selon vous, les solutions concrètes, acceptables par les différentes parties, pour rétablir la paix dans cette région du monde ?
Dominique de Villepin : Plusieurs initiatives diplomatiques, arabes ou franco-saoudiennes, convergent depuis quelques mois. La reconnaissance prononcée par la France, le 22 septembre, de l’État palestinien marque une date importante. Elle réinscrit la France dans une continuité historique, de la résolution 181 aux appels des grands responsables politiques européens, et elle donne un cadre politique indispensable à toute reprise sérieuse des négociations. La question est désormais de savoir que faire pour avancer dans la voie d’un règlement en privilégiant bien sûr l’impératif humanitaire.
D’abord, il faut tenir l’équilibre entre urgence humanitaire et sécurité. La priorité immédiate doit être la sortie de la spirale de violence avec un cessez-le-feu vérifiable, des échanges d’otages menés sans délai sous garantie tierce et un corridor humanitaire sécurisé. Sans cela, il n’y a pas de condition minimale pour parler de politique. Mais la sécurité d’Israël ne peut être l’excuse d’une permanence de l’occupation. La fin de l’occupation en Cisjordanie et la levée progressive du siège de Gaza sont des impératifs moraux et stratégiques.
Ensuite, il faut être pragmatique et lucide politiquement. Le plan américain en vingt points et la rencontre entre Donald Trump et Benjamin Netanyahou modifient le rapport de forces mais n’annulent pas la nécessité des principes. Il convient de s’engager dans ce mouvement avec lucidité. La priorité économique défendue par l’administration américaine ne peut éclipser la nécessaire reconnaissance de la dignité et de l’identité palestinienne. Il faut retenir ce qui est améliorable, comme la reconnaissance de l’aspiration palestinienne, des garanties contre l’annexion et des promesses de retrait partiel, et les arrimer à des obligations concrètes. La démilitarisation progressive du Hamas, le renforcement réaliste de l’Autorité palestinienne, un calendrier de sécurité et de reconstruction sous contrôle international doivent en être les conditions. Refuser d’utiliser ces fenêtres d’opportunité, c’est renoncer à avancer et à peser.
Il faut aussi démanteler le Hamas et lutter contre son emprise ; mais la stratégie consistant à cibler une population pour éliminer un mouvement est une impasse politique et morale. La solution réside dans une transition avec des transferts progressifs de compétence à une autorité palestinienne légitime, appuyée par une mission internationale chargée de la sécurité intérieure et par un plan massif de reconstruction financé par la communauté internationale et les États arabes.
Il est tout aussi indispensable de geler immédiatement toute extension des colonies et de reprendre la logique du partage. Le gel des colonies, y compris le projet E11, doit devenir la condition non négociable de toute reprise politique. Sans ce gel, la géographie de la Cisjordanie rendra l’État palestinien une fiction. La reconnaissance française et européenne est un levier pour exiger ce moratoire et conditionner les progrès politiques et les relations économiques.
« De trop nombreux responsables politiques ont cédé à la tentation d'importer le conflit israélo-palestinien sur notre sol, portés par des calculs identitaires qui font du mal à la cohésion de notre pays »
Par ailleurs, il faut bâtir une coalition de bonne volonté. La France doit agir avec la Grande-Bretagne, l’Union européenne, les pays arabo-musulmans et les États-Unis, en veillant à ne pas être simple suiveur de Washington ni antagoniste systématique. Cette coalition doit offrir à la fois des garanties de sécurité à Israël, des garanties institutionnelles aux Palestiniens et un plan économique crédible pour Gaza et la Cisjordanie. C’est elle qui peut permettre l’émergence d’une Autorité palestinienne rénovée, capable d’organiser des élections libres et de garantir l’ordre public.
Enfin, il faut articuler droit et réalisme. La reconnaissance de l’État palestinien doit être mise au service d’un processus constructif avec des jalons clairs et vérifiables : retrait partiel des troupes, démilitarisation, élections sous supervision, retour progressif des réfugiés selon des modalités négociées, et des instruments de sanction et de récompense. Le monde n’a pas d’autre boussole que le droit, mais le droit sans instruments pratiques reste...








