DOSSIER

La France, un "roman-fleuve"

Les fleuves ont structuré le développement des territoires. Délaissés au XXe siècle, ils s’affirment de nouveau comme des éléments incontournables de l’aménagement du territoire. Gros plan à la veille du 3e Forum Axe Seine, le 4 décembre prochain.
Bruno LAFOSSE
Publié le 18 novembre 2024

La cérémonie d’ouverture des jeux Olympiques l’a rappelé avec éclat : Paris n’existe pas sans la Seine.

Toutefois, la relation privilégiée entre la ville et son fleuve ne se limite pas à la capitale. Quand elles ne sont pas des ports maritimes, la plupart des grandes métropoles françaises sont traversées par une rivière ou un fleuve. Ainsi, on n’imagine pas Toulouse ni Bordeaux sans la Garonne, Orléans, Tours et Nantes sans la Loire, Lyon sans le Rhône et la Saône, etc. C’est évidemment vrai partout dans le monde, de Londres et sa Tamise au Caire traversé par le Nil.

Dès l’Antiquité, les fleuves ont attiré les populations, offrant des voies de communication naturelles et des terres fertiles pour l’agriculture. Les villes se sont développées le long de leurs rives, profitant des ressources et du commerce fluvial, jusqu’à la révolution industrielle.

Ces atouts ont été largement ignorés dans la seconde partie du XXe siècle, quand la cité a tourné le dos à son fleuve. Les quais ont été transformés en autoroutes urbaines ou en parkings, cachés à la vue des habitants.

Ces villes qui retrouvent le goût de l’eau

Ces dernières années, les villes ont retrouvé le goût de l’eau, renouant avec les rives et les quais. Dans la dynamique de Paris-Plage au début des années 2000, la capitale est partie à la reconquête des berges de la Seine. Bordeaux a redessiné et étendu son centre vers la Garonne et le nord de la cité, avec le passage du tramway. Depuis le début des années 2010, Rouen s’est lancée dans la reconquête de ses quais avec promenade, prairie, parc et hangars accueillant restaurants, espaces de loisirs et même le siège de la Métropole, de l’Agence de l’eau, France Bleu et France 3 Normandie… Des aménagements et équipements primés pour leur qualité architecturale et paysagère1.

Ce souci d’aménagement gagne également les villes moyennes, qui redécouvrent leurs cours d’eau pour renforcer leur attractivité et qualité de vie, tout en tenant compte des enjeux écologiques et de gestion des risques naturels. Ainsi Amiens, Tours ou Orléans, Châlons-en-Champagne ou Troyes se sont lancées dans des politiques de transformation comme l’analyse la Fabrique de la Cité2.

Ces projets répondent à des aspirations nouvelles. Le retour de la baignade en ville est ainsi une attente forte de nos concitoyens, à l’image de ce que pratiquent d’autres cités européennes depuis longtemps, comme Bâle avec le Rhin.

L’aménagement des quais est d’ailleurs généralement suivi d’une appropriation très rapide par les habitants et les touristes pour des usages de promenade ou de loisirs sportifs. Le tourisme fluvial et les voies vertes le long des berges connaissent un essor important, offrant de nouvelles perspectives économiques aux territoires traversés, comme le montre le succès de l’itinéraire La Loire à vélo.

Le retour du transport fluvial

Au-delà de leur réintégration dans l’espace urbain, les fleuves reviennent en grâce comme voie de transports et de logistique. Le transport fluvial s’affirme comme une alternative écologique au fret routier, réduisant considérablement les émissions de CO2. Il permet ainsi d’atteindre le cœur des métropoles jusqu’au dernier kilomètre.

Depuis 2022, Ikea utilise un nouveau système de livraison multimodal pour ses clients parisiens. Les commandes sont préparées au centre de distribution de Gennevilliers avant d’être acheminées par bateau sur la Seine jusqu’au port de Bercy, puis livrées par des véhicules électriques.

La Métropole de Nantes travaille sur la transformation de la zone portuaire de Cheviré en une plateforme de barging, d’activité logistique et de dépollution. À Bonneuil-sur-Marne, la municipalité défend l’idée de développer le transport multimodal à partir de son port de 200 hectares en bords de Marne, à quelques kilomètres de Rungis, d’Orly et du nœud ferroviaire de Villeneuve-Saint-Georges.

À Gennevilliers, le projet d’entrepôt Green Dock se présente comme un espace optimisé qui rassemblera à l’horizon 2026 les fonctions d’approvisionnement, stockage, préparation et distribution, habituellement fractionnées sur plusieurs sites. Le projet s’implante sur une friche industrielle existante, remplaçant d’anciens entrepôts vétustes des années 1950.

Avec ses quatre étages, le bâtiment permet de concentrer 80 000 m2 d’espace de stockage sur une emprise au sol de seulement 30 000 m2, ce qui permet de limiter l’étalement urbain et l’artificialisation de nouvelles terres.

Autre approche, celle qui consiste à refaire des ports des acteurs du premier kilomètre : c’est-à-dire des lieux de production ou de transformation industrielle, comme le défend Patrice Leclerc, maire de Gennevilliers. Il est alors question de rapprocher les activités productrices de la ville pour limiter les déplacements, mais aussi de souveraineté industrielle et d’économie du foncier.

La vallée de Seine, corridor industriel historique avec son industrie automobile, aéronautique, pharmaceutique et pétrochimique, pourrait ainsi renouer avec sa vocation productive.

Une ressource à préserver

Toutefois, la relance de la production ne pourra s’effectuer au mépris de l’eau. La préservation de la ressource est devenue une priorité. Le Plan Loire Grandeur Nature vise à concilier développement économique et protection de l’environnement. La restauration des zones humides et la renaturation des berges favorisent le retour de la biodiversité.

Pour la Seine, l’enjeu écologique est important, comme l’ont montré les efforts colossaux conduits notamment par le SIAAP pour traiter les eaux et permettre le retour à la baignabilité, mais également une préservation de la biodiversité. Dans les estuaires et le delta du Rhône, c’est l’enjeu de la salinité de l’eau qu’il faut prendre au sérieux.

La relance de la production ne pourra s’effectuer au mépris de l’eau. La préservation de la ressource est devenue une priorité.

Car quand la nature est chamboulée, notamment par le dérèglement climatique, elle peut se rappeler brutalement à notre bon souvenir. D’allié le fleuve redevient un aléa. Le cours d’eau peut être exsangue en période de sécheresse, ce qui pose problème aux activités agricoles et industrielles fortement consommatrices d’eau, on pense notamment aux centrales nucléaires.

À l’inverse, lors de pluies intenses, les phénomènes de crue peuvent être spectaculaires et dangereux, surtout s’ils sont combinés à une montée du niveau des eaux de la mer.

Dans certains bassins, il faudra admettre que les crues ne sont pas toujours gérables. Pour la Seine se pose le défi de restaurer les zones d’expansion des crues, de reconnecter le fleuve à ses anciennes plaines inondables, voire de réaménager le lit en créant plus d’espace pour s’étaler en cas de crue. Un partage des terres douloureux, quand il remet en cause l’activité humaine et l’habitat, mais inévitable à plus ou moins long terme.

Des décisions difficiles à prendre qui renvoient à la nécessité d’une gouvernance partagée des fleuves à l’échelle de leurs bassins et d’une prise de conscience de la fragilité de ces géants. 


  1. Le siège de la métropole de Rouen-Normandie a reçu l‘American Architecture Prize 2017 dans la catégorie institutionnelle et l’aménagement des quais le grand prix national du paysage en 2018.
    ↩︎
  2. https://www.lafabriquedelacite.com/publications/dune-rive-a-lautre-les-villes-moyennes-amenagent-leurs-cours-deau/ ↩︎

Erik Orsenna s’engage pour l’avenir des grands fleuves La France des fleuves

erik orsenna la terre a soif

La Terre a soif, Petit précis de mondialisation
Tome VI

Erik Orsenna,

Éd. Fayard 2022

www.initiativesfleuves.org

« Faisons le pari que les fleuves deviennent le laboratoire des transitions. L’eau est une matière. Un cours d’eau, un fleuve ou une rivière sont des êtres, vivants. » Tel est le credo d’Erik Orsenna, président de l’association Initiatives pour l’avenir des grands fleuves, qui formule des propositions pour considérer ceux-ci comme des êtres vivants afin de les protéger plus efficacement. En 2024, l’association met en place une labellisation des initiatives en faveur des fleuves. En 2022, l’académicien a publié La Terre a soif, racontant son tour du monde à la rencontre de 33 grands fleuves. Il nous donne à voir de près les causes de leurs maux : la pénurie mondiale d’eau, la pollution, la multiplication de barrages entraînant la destruction des ressources et des paysages.

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