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Pourquoi les villages sont en train de renaître

Crises écologique et sanitaire ont remis la campagne à la mode. Un retour en grâce après des décennie où le déclin des zones rurales était présenté comme inéluctable. Mais faire vivre un village reste souvent un combat et exige des trésors d’imagination. Habitants et élus ruraux sont les artisans de cette renaissance. Récit et entretiens.
La rédaction
La rédaction
Publié le 12 avril 2022

Vivre à la campagne, un idéal pour 92% des Français !

Collégiens et lycéens le savent : au XIXe siècle, la révolution industrielle a entraîné l’exode rural. En 1930, la population urbaine avait dépassé celle des campagnes. La mondialisation et la tertiarisation de l’emploi ont achevé de vider celles-ci de leurs forces vives. Si l’essor de l’écologie sur le plan politique, renforcé par les confinements liés à la crise sanitaire, a redonné du lustre à « la vie à la campagne », du point de vue de l’emploi, les perspectives n’ont rien de réjouissant.

Qui ne pense avec nostalgie au village de son enfance ? À celui dont nos parents ou grands-parents contaient les charmes ? Il y avait des fermes, des artisans, des petits commerces, un bistro… souvent un bureau de Poste et une école. Il y faisait bon vivre, tout le monde se connaissait et s’entraidait ! Souvent, pourtant, ce petit coin de paradis est embelli par le souvenir. Car depuis longtemps, les campagnes ont la vie dure.

En France, l’exode rural, lié à la révolution industrielle, s’amorce au XIXe siècle, d’abord dans les régions où les conditions d’exploitation agricole sont difficiles. La population urbaine dépasse celle des campagnes à partir des années 1930. Cet exode rural s’accélère et se généralise après la Seconde Guerre mondiale. En 1967, le sociologue Henri Mendras publie La Fin des paysans, où il prédit la fin de la civilisation paysanne, vaincue par la société industrielle.

Mécanisation, remembrement, innovation : « l’état de paysan » est remplacé par « le métier d’agriculteur ». En 1982, selon l’Insee, on ne comptait plus que 1,2 million d’agriculteurs à titre permanent, soit 7,1 % de l’emploi total, ainsi que 310 000 ouvriers agricoles. En 2019, 400 000 agriculteurs (1,5 % de l’emploi total) et 250 000 ouvriers agricoles.

Le flux de l’exode rural s’est arrêté vers 1975. Mais la baisse de la population avait entraîné la disparition de certaines communes, de nombreux artisans et commerces.

Les fermes et les usines laissent place au chômage

À partir des années 1980, c’est la désindustrialisation qui a fragilisé certains territoires ruraux, éloignés des grandes villes, qui accueillaient pourtant de nombreuses usines, particulièrement dans le nord et l’est de la France.

C’est le cas par exemple de la Picardie (Somme, Aisne et Oise), où des sites industriels (textile, sucrerie, petite métallurgie) se sont implantés très tôt. À la fin des années 1960, cette région pourtant très rurale comptait plus d’ouvriers dans sa population active (47,3 %) que l’Alsace (44,5 %), la Lorraine (42,8 %) ou l’Île-de-France (43,5 %). En 2013, les ouvriers y représentaient encore 24 % de la population active (contre 18,5 % en moyenne nationale).

Licenciements et fermetures d’usines ont fait exploser le taux de chômage dès le début des années 1980, engendrant pauvreté et départ des plus jeunes, faute d’emplois, dans plusieurs cantons. En 2021, le taux de chômage dans l’Aisne (11% au 2e trimestre) demeure trois points environ au-dessus de la moyenne nationale (en métropole, seules les Pyrénées-Orientales, avec 12,4 %, ont un taux de chômage supérieur).

L’essor de la mondialisation va faire le reste. À partir des années 1990, l’urbanisation, née avec la révolution industrielle, se déploie à grande échelle. Elle prend la forme d’un processus de métropolisation, favorisé par la montée du secteur tertiaire concentré dans les villes, la volonté des ménages — voire la contrainte qui leur est faite — de se rapprocher des marchés de l’emploi les plus larges, la nécessité de connexion au monde via aéroports ou réseaux numériques.

Les indicateurs statistiques de la ruralité sont le fruit d’une construction politique liée à l’idéologie du moment.

Dès le début du XIXe siècle, les théories économiques dominantes qui vont inspirer les politiques publiques ne jurent plus que par la métropolisation, seule voie possible de la croissance économique.

La statistique va porter le coup de grâce. Longtemps, selon l’Insee, le rural était défini par la négative : c’était ce qui n’était pas urbain. Depuis le milieu du XIXe siècle, était considérée comme urbaine toute agglomération d’au moins 2 000 habitants, et dont les habitations formaient une zone bâtie compacte. Il ne reste donc plus grand-chose. En 2010, le nouveau zonage en aires urbaines adopté par l’Insee, afin de décrire l’influence des villes sur l’ensemble du territoire gomme encore un peu plus le rural.

En s’intéressant notamment aux déplacements domicile-travail et aux fonctions de chaque territoire (ceux qui attirent pour le logement, ceux qui attirent pour le travail…), l’institut affirme que 95 % de la population vit dans l’influence des villes. Reste 5 % pour les « communes isolées ». Le rural est réduit à du résiduel ! Qu’une partie de la population ait pu se sentir méprisée par des élites parisiennes hors sol n’a donc rien de très étonnant.

Les indicateurs statistiques sont le fruit d’une construction politique liée à l’idéologie du moment. En 2015, l’Insee, s’inspirant d’une nouvelle méthodologie européenne fondée sur la densité de la population, change de lunettes et s’aperçoit que 30 % de la population vit en zone rurale. De quoi finalement faire ou défaire un roi ! La colère des Gilets jaunes, en novembre 2018, sera interprétée par certains comme celle de cette France-là, rurale et périphérique aux grandes villes.

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CHIFFRES CLES

  • 1 Français sur 3 vit en zone rurale
  • 30 772 communes rurales en France
  • 80 % des communes rurales sont en croissance démographique
  • 85 % des personnes qui s’installent en milieu rural sont des actifs
  • 18 % des emplois en zones rurales sont des emplois industriels (11 % dans les autres territoires)
  • 1 établissement industriel sur 2 est en zone rurale en région Nouvelle-Aquitaine

À lire également dans l’Inspiration politique

L’interview de Laurent Rieutort

géographe, professeur à l’Université Clermont Auvergne et directeur de l’Institut d’Auvergne-Rhône-Alpes du développement des territoires.

Dans l’opinion publique, les signes de plus en plus tangibles de la crise écologique font également rêver de retour à la nature. Travaux universitaires, essais, articles de presse évoquent la renaissance des campagnes (voir bibliographie). En avril 2019, un sondage réalisé par l’Ifop pour Familles rurales (mouvement réunissant 2 200 associations implantées dans les territoires ruraux et 160 000 familles) révélait que 81% des Français considéraient la vie à la campagne comme le mode de vie idéal !

Des ventes immobilières en hausse

Les périodes de confinement et les restrictions imposées depuis deux ans au nom de la lutte contre la pandémie ont renforcé cet engouement. En mars 2021, selon un nouveau sondage Ifop/Familles rurales, 92 % des Français expriment « un désir de campagne ». De fait, de mars 2020 à fin 2021, le volume des ventes immobilières en zones rurales a augmenté de 13 % et les prix de 6,4 % (selon les agences immobilières Meilleurs agents).

Attention pourtant de ne pas remplacer un cliché par un autre ! Si le monde rural existe bien et jouit d’un nouvel attrait, tout reste sur un fil. Certes, la France est le premier producteur de produits agricoles de l’Union européenne, mais les villages ne peuvent plus miser sur les fermes — même si le développement du bio ouvre des possibilités — pour doper l’emploi et animer le quotidien. Le secteur continue à se restructurer au profit des grandes exploitations (42 % du total), et n’assure plus que 2,8 % des emplois ruraux.

Et si le mot « réindustrialisation » sature le discours politique, celle-ci reste largement un vœu pieux. En zone rurale, c’est plutôt l’hécatombe qui continue, particulièrement pour les sous-traitants automobiles, avec le prétexte de la fin du diesel et de la conversion à l’électrique. Parmi les fermetures récentes, citons les fonderies MBF à Saint-Claude (9 700 habitants) dans le Jura, celle du Poitou à Ingrandes (1 760 habitants) dans la Vienne, ou encore SAM à Viviez (1 258 habitants) dans l’Aveyron…

La France sous nos yeux — Économie, paysages, nouveaux modes de vie, Jérôme Fourquet et Jean-Laurent Cassely, Le Seuil, octobre 2021.

Le salut viendra-t-il des plateformes logistiques ? Selon Jérôme Fourquet, directeur du département « opinion » de l’Ifop, Amazon et Intermarché ont aujourd’hui remplacé l’État en matière d’aménagement du territoire. Enfin, pas tout à fait, car si les plateformes de vente à distance visent des sites proches de leurs zones de clientèles, elles les veulent dotés d’une bonne desserte autoroutière et d’un réseau haut débit — ce qui relève de la puissance publique. Le 30 août dernier, Amazon a ainsi ouvert un huitième centre de distribution en France, le plus grand, à Augny (2 080 habitants) en Moselle, promettant un millier d’emplois en CDI en trois ans. Trois mois après, les élus d’opposition pointaient la précarité de ces emplois et l’intensification du trafic de camions autour du village. Pas de remède miracle…

BIBLIOGRAPHIE

La renaissance des campagnes,
Vincent Grimault, Le Seuil, 2020.
Les espaces ruraux en France,
Yves Jean et Laurent Rieutort,
Armand Colin, 2018.
Le réveil de la France oubliée,
Anthony Cortès, Éditions du Rocher, 2021.
La revanche des villages,
Éric Charmes, Le Seuil, 2019.
Ceux qui restent — Faire sa vie dans les campagnes en déclin, 
Benoit Coquard, La Découverte, 2019.
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