— Pourquoi un épidémiologiste s’intéresse-t-il à la violence ? Avec quelle démarche spécifique, par rapport à un sociologue ou un psychologue ?
Jean-David Zeitoun : La violence au sens large cause 5 millions de décès par an, soit à peu près 8 % de la mortalité mondiale. Cela cumule les trois causes de mortalité violente que sont les accidents, les suicides et les homicides. Ce n’est pas négligeable dans le bilan total de la mortalité mondiale. Il m’a paru intéressant d’essayer de regarder ce qui se passe dans ce groupe de personnes qui meurent violemment, et non pas de maladie, ce dont nous, les médecins, nous avons l’habitude de nous occuper.
L’épidémiologie apporte une approche factuelle, ce que font certes les autres scientifiques, mais aussi une approche d’ensemble. On ne décide pas d’aborder le sujet par un angle particulier. J’ai voulu mener une espèce d’enquête épidémiologique, en essayant de regrouper toutes les études qui avaient été publiées et qui adoptaient les méthodes de l’épidémiologiste. C’est-à-dire que l’on compare de grandes masses de population et que l’on essaie de comprendre quelles sont les différences entre ces masses de population pour savoir ce qui peut expliquer que certains individus se comportent violemment et d’autres pas.
— Vous utilisez dans votre ouvrage le terme de « violence normale » et c’est celle qui fait l’objet de votre enquête. Que recouvre ce terme ?
J.-D. Z. : Pour essayer justement d’être scientifique et rigoureux, j’ai limité l’enquête à la violence physique personnelle, donc cela exclut la violence morale, le terrorisme, , les guerres qui ne sont pas des violences personnelles, mais des violences organisées, avec un chef. On a ainsi un échantillon à peu près homogène, en tout cas suffisamment pour être étudiable. Évidemment, on n’a plus de données sur les homicides que sur les agressions physiques sans homicide parce que les homicides sont eux enregistrés. Cela limite encore le champ de l’analyse, mais j’espère que cela fait en sorte que les résultats du livre sont valables.
Pourquoi « violence normale » ? Parce que le taux est régulier. Quand quelque chose se produit régulièrement dans une société, c’est « normal ». De la même façon, Durkheim parlait du « taux normal » de suicide parce que les variations d’une année sur l’autre, en termes de nombre de suicides dans une société donnée, étaient très limitées. Il n’y a aucune connotation morale.
J.-D. Z. : Il y a probablement certaines formes de...







