DOSSIER

De nouvelles pratiques urbaines au centre de la ville

La ville tend à redevenir attractive, grâce au cadre et aux activités qu’elle propose. Ses aménagements, plus verts, invitent ses habitants à réinvestir les espaces publics. On y flâne, on y fait du sport, on y joue, on y discute. L’envie d’expérimenter de nouvelles relations sociales urbaines émerge. La fin des clichés sur les citadins individualistes et la ville qui isole ?
Isabelle Friedman
Isabelle FRIEDMANN
Publié le 7 mars 2024

En donnant un grand coup de frein au tout voiture, l’urbanisme de ce début de XXIe siècle est en passe de révolutionner les modes de vie urbains.

La métamorphose n’est pas générale, bien sûr. Mais elle touche de plus en plus de villes, quelle que soit leur taille. Toutes voient une kyrielle d’avantages à la mise en œuvre d’un nouveau partage de l’espace public. Car, faire reculer la place de la voiture en ville, c’est à la fois lutter contre les émissions de gaz à effet de serre – et leur double impact sur la santé et le climat –, améliorer le cadre de vie des habitants, multiplier les opportunités d’activités citadines, générer du lien social, mais aussi du dynamisme économique.

Certes, des freins et des crispations existent, qui entraînent débats et frictions entre automobilistes, cyclistes et piétons. Mais les exemples des communes de Bayonne et Cahors montrent que la progressivité de la transition et le déploiement parallèle d’alternatives à la voiture individuelle constituent des leviers pour faire accepter le changement.


Indispensable à la transformation des modes de vie en ville, la piétonisation ne suffit pas. Elle doit s’inscrire dans un projet global de redynamisation.


Un changement qui est d’ailleurs largement plébiscité par les citoyens. Les chiffres du baromètre présenté par Pierre Creuzet, le directeur-fondateur de Centre-ville en mouvement, prouvent que les habitants des villes, y compris des métropoles, veulent se réapproprier rues, places, esplanades, parcs et bords de fleuve.

PIÉTONNISATION PARTOUT EN EUROPE

Colonne vertébrale des politiques urbaines contemporaines, la piétonnisation, que la mairie de Paris va renforcer à l’horizon 2030, en investissant 300 millions d’euros, n’est pas une exception française. C’est un phénomène européen.

De Madrid à Oslo, en passant par Stuttgart ou Amsterdam, la tendance est générale, quel que soit le climat. Partout, on supprime des centaines, voire des milliers, de places de stationnement, on interdit la voiture dans les centres anciens, autour des écoles, sur les quais, sur des périmètres de plus en plus larges (200 hectares à Madrid !).

Dans le même temps, on encourage l’usage des transports en commun, on crée des pistes cyclables, on favorise la « marchabilité » de la ville, avec des trottoirs et un mobilier plus adaptés, on diversifie les équipements publics et les usages – sportif, culturel, convivial – qui peuvent en être faits.

Indispensable à la transformation des modes de vie en ville, la piétonnisation ne suffit pas. Elle doit s’inscrire dans un projet global qui s’appuie non seulement sur la rénovation de l’habitat et la (re)construction de logements, y compris dans les « dents creuses » de l’hypercentre, mais aussi sur la requalification des espaces publics, le soutien aux événements culturels et aux commerces…

À Cahors, la métamorphose a commencé il y a quinze ans, « avec un projet urbain d’avant-garde », rappelle Vivien Coste, directeur de cabinet du maire et du président du Grand Cahors. Alors que l’étalement urbain avait encore le vent en poupe, la majorité municipale de l’époque a choisi de reconstruire la ville sur elle-même, pour tenir compte à la fois de sa morphologie – Cahors est insérée dans les méandres du Lot – et de la qualité de son patrimoine médiéval. « Nous avons opté pour la réhabilitation, versus la démolition, dans tous les quartiers du centre-ville, insiste Vivien Coste.

Tous ont donc fait l’objet d’une étude urbaine et d’une stratégie de renouvellement, qui nous ont amenés à être distinctifs vis-à-vis de ce qui se pratiquait alors à l’échelle nationale. » Avant même la création de l’Agence nationale de la cohésion des territoires (ANCT) et de son programme « Action cœur de ville », Cahors, avec son programme « Cahors cœur d’agglo », a utilisé un large éventail d’outils pour impulser la réhabilitation du bâti ancien et la réfection de ses façades, l’accession à la propriété et une forme de recomposition de l’offre de logement, via la fusion de petits logements pour en créer de plus grands, et répondre ainsi à la demande.

SOUTIEN AU PETIT COMMERCE

Les municipalités qui parviennent à enrayer le cercle vicieux de la désertification des centres anciens et qui commencent à voir revenir des habitants en cœur de ville font toutes le même constat : il faut mener un projet urbain multifacettes et largement partenarial avec les autres collectivités territoriales, l’État, la Banque des territoires, Action logement ou encore les commerçants.

« Chacun doit trouver sa place et son intérêt dans cette ville réinventée », insiste Sylvie Meyzenc, élue à Bayonne. Nous avons par exemple été les premiers à ouvrir un Office du commerce et de l’artisanat, pour soutenir le petit commerce et l’artisanat, face à la concurrence des centres commerciaux, et pour poser avec eux des règles communes.

Les habitants des villes, y compris des métropoles, veulent se réapproprier rues, places, esplanades, parcs et bords de fleuve.

Résultat, nous avons peu d’enseignes nationales en centre-ville et un taux de vacance commerciale inférieur à 4 %. » Le dialogue tissé avec les associations de commerçants et d’artisans a également permis de donner du sens au projet global : la Charte des terrasses y contribue, par exemple, en fixant des règles pour un bon usage de l’espace public et en interdisant les parasols publicitaires, pour préserver le charme du Vieux Bayonne.

NATURE EN VILLE

La « végétalisation urbaine » s’inscrit dans cette même dynamique d’amélioration du cadre de vie et de renforcement de la résilience des villes face au réchauffement climatique. Elle prend la forme de plantations (parfois un peu anarchiques) en pieds d’arbre ou de la végétalisation des cours d’école ou de politiques plus ambitieuses de création de parcs ou de formation de mini-forêts, comme place de Catalogne à Paris.

Pour verdir et rafraîchir sa célèbre place de la Comédie, la municipalité de Montpellier vient de creuser deux grandes fosses, en lieu et place d’une partie d’un parking souterrain, afin que le système racinaire de chaque orme planté bénéficie de près de 75 m3 de terre. Un parti pris qui illustre l’inversement des priorités de l’aménagement urbain actuel !

Encouragés par leurs administrés, nombre d’élus modifient donc le paysage urbain et les façons de l’habiter, de réinvestir ses centralités, de créer de la valeur et de nouvelles manières d’être ensemble. Le succès – déjà ancien – des balades à rollers le vendredi soir à Paris, la réappropriation des quais de la rive gauche de la Seine à Rouen sur d’anciens parkings transformés en prairie urbaine ou encore les pique-niques géants organisés, par exemple, à Bordeaux attestent d’une réelle appétence citoyenne pour de tels usages. Et personne ne se risque à proposer de faire marche arrière.

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