ENTRETIEN

Jean-Luc Gleyze « Beaucoup de solutions passent par l’expérimentation locale »

Le président du Conseil départemental de Gironde, Jean-Luc Gleyze, a initié « l’appel des Girondins », le 2 décembre dernier, fédérant plus de 450 élus autour de la défense des collectivités. Auditionné par Éric Woerth, il préconise une extension du droit à l’expérimentation locale.
La rédaction
La rédaction
Publié le 6 mars 2024

— Vous avez lancé « l’appel des Girondins », pour interpeller le Président de la République sur l’état des collectivités territoriales. Pourquoi ?

Jean-Luc Gleyze : Le sujet est l’asphyxie financière des collectivités. Le gouvernement ne peut plus fermer les yeux. Son inaction signifierait trois choix. Soit, il a la volonté de laisser mourir les territoires, notamment les départements, pour éliminer une strate de collectivité. Soit, il a l’ambition de dénaturer le service public pour le transférer au secteur privé. Soit, il n’a pas conscience de la situation du pays. La dégradation des collectivités entraîne la dégradation de la cohésion sociale et renforce le vote en faveur de l’extrême droite.

Pour ne parler que des départements, ils sont le seul niveau de collectivités qui ne lève plus l’impôt. En 2023, la Gironde a perdu 140 millions d’euros de droits de mutation et terminé l’année avec une épargne nette négative. Nos finances sont mises en péril. Nous sommes contraints à des choix difficiles pour le budget 2024 qui impacteront les communes, les intercommunalités, les associations. L’idée est de se mobiliser collectivement pour montrer que nous avons tous destin lié. J’ai donc réactivé la mobilisation engagée en 2018 lorsque nous avons protesté contre les projets de métropolisation de certains départements. Plus de 450 élus et présidents d’associations ont répondu à l’appel.

— Vous parlez d’un budget 2024 compliqué, concrètement de quoi s’agit-il ?

J-L. G. Notre département compte 20 000 habitants et 1 000 collégiens supplémentaires chaque année. Entre 2017 et 2025, nous avons 14 collèges à construire soit un investissement de 680 millions d’euros. Par ailleurs, le nombre de bénéficiaires de l’aide personnalisée à l’autonomie augmente, tout comme celui de la prestation de compensation du handicap. Notre budget de la protection de l’enfance a explosé de 65 % entre 2015 et 2023. Il représente le plus haut budget de la collectivité, avec 320 millions d’euros.

Pourtant en face, il n’y a pas d’augmentation équivalente des dotations de l’État, ni des droits de mutation, ni de la TVA. C’est l’effet ciseaux. Malgré tout, notre budget n’est pas négligeable. Il s’élève à 2 milliards d’euros. Mais nous sommes contraints à des choix difficiles. Les aides versées aux communes et aux associations seront moins élevées. Nous n’ouvrirons pas toutes les places de protection de l’enfance envisagées. Nous avons posé des taux directeurs auprès des EHPAD qui ne sont pas à la hauteur de l’inflation. Nous allons stopper ou retarder plusieurs investissements. Ce mouvement aura un impact sur l’économie et l’emploi.

— Avez-vous obtenu des réponses du gouvernement ?

J-L. G. Dès l’annonce de notre mobilisation, la ministre chargée des Collectivités territoriales, à l’époque Dominique Faure, m’a proposé une rencontre. Puis, nous avons été auditionnés par Éric Woerth, chargé par le Président de la République d’une mission sur la décentralisation. Ses travaux comportent quatre items. Le premier questionnait la suppression d’un niveau de collectivité. Il nous a affirmé que cette hypothèse est écartée. Il a néanmoins évoqué l’éventualité d’un travail autour du conseiller territorial, vieille mesure sarkozyste consistant à fondre dans un seul élu les mandats de la région et du département. Nous avons ensuite abordé la question des compétences, de leur répartition et leur financement. Les départements font face à une incohérence fiscale. La solidarité nationale est notre principale mission. Pourtant, ce sont les recettes issues du marché qui financent la solidarité. Troisième sujet, celui de la simplification des normes. Enfin, nous avons terminé avec le statut de l’élu. Droits consolidés, rémunération rehaussée, formation, retour à l’emploi en fin de mandat… Beaucoup de sujets sont sur la table afin de contrecarrer la fatigue démocratique.

— Ces préconisations sont-elles suffisantes ?

J-L. G. Si les collectivités assument des responsabilités décentralisées, elles doivent disposer des moyens à hauteur de leurs compétences. C’est au gouvernement d’avancer des solutions. Pour ma part, je préconise par exemple de consacrer une part de la cotisation sociale généralisée (CSG) pour couvrir nos missions de solidarité. Nous avons aussi besoin de recettes dynamiques. Un mixte est à trouver. Pourquoi ne pas augmenter la part de la taxe spéciale sur les conventions d’assurance pour financer les services départementaux d’incendie et de secours (SDIS) ? De nouvelles recettes sont à chercher. Certains ont beaucoup d’argent, mais ne contribuent pas suffisamment à la fiscalité nationale. La dette publique ne peut pas justifier une stagnation des dotations de l’État. Sur les compétences, l’équilibre actuel permet une complémentarité entre les différents échelons. Le chevauchement n’est pas un problème. Il serait plus intelligent de renforcer la contractualisation entre collectivités.

— Êtes-vous favorable à l’extension du droit à l’expérimentation locale ?

J-L. G. Cela fait des années que nous l’exerçons. Pourtant, nous sommes parfois empêchés par le législateur, comme sur le revenu de base que nous avons voulu mettre en place. Beaucoup de solutions passent par l’expérimentation. Éric Woerth a évoqué l’idée d’un accord entre le préfet et un président de département, par exemple, pour tenter des projets hors du cadre légal. La condition étant que les deux soient d’accord. En Gironde, nous avons par exemple expérimenté une sécurité sociale de l’alimentation. Il s’agit de permettre à des maraîchers de produits locaux et en circuit court d’avoir une juste rémunération. En face, des consommateurs qui n’accèdent pas à une alimentation de qualité peuvent bénéficier de ces produits. Les expérimentations permettent d’inspirer d’autres territoires. Et si cela marche, pourquoi ne pas les proposer au niveau national.

E. A.

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