— L’été a été marqué par la polémique sur la prison de Fresnes. Comment l’avez-vous vécu ?
Olivier Corzani : J’ai senti une profonde dissonance entre, d’un côté, les commentaires que je pouvais lire et entendre dans la presse, et de l’autre, les préoccupations remontant du terrain. Les agents que je croise évoquent d’abord la dureté de leurs conditions de travail, la pression quotidienne qu’ils doivent gérer. Les prisons sont des lieux d’enfermement soumis à une pression intense. Organiser des activités en détention permet de s’extraire, pendant quelques heures, de cette pression. Cette affaire de kart a alimenté une fausse polémique. On peut évidemment s’interroger sur le profil des détenus choisis pour ce « KohLantess », et plus encore sur l’absence de vérification et de suivi de l’initiative. Mais cela ne doit pas conduire à hypothéquer le bienfait d’activités qui agissent positivement sur les rapports humains et sociaux à l’intérieur des centres de détention, contribuant à empêcher des explosions de colères ou de violence.
— Avez-vous craint que les évènements de Fresnes n’affectent un peu plus l’image de villes qui, comme Fleury-Mérogis, accueillent des prisons ?
OC : Une prison connote négativement l’image d’une commune. J’ai eu peur que cette affaire occulte les sujets de fond qui traversent la justice et les prisons : les délais pour obtenir un jugement, la qualité de traitement des affaires, le pourcentage d’affaires réellement traitées, la capacité à penser des formes multiples de sanctions, et bien sûr, la situation des agents en établissement pénitentiaire : confrontés aux horaires décalés, à la surcharge du nombre de détenus, à l’absence d’effectifs, à la faible attractivité du métier, à l’obligation de faire face à un rapport de force quasi quotidien avec les détenus…
— Au lendemain de ces évènements à Fresnes, le garde des Sceaux Éric Dupont-Moretti s’est déplacé à Fleury-Mérogis et dans un certain nombre de prisons. Quel message teniez-vous à faire passer ?
OC : J’ai cherché à lui faire entendre le point de vue d’un élu local, à lui montrer ce qu’implique un établissement pénitentiaire pour la ville qui l’accueille. La maison d’arrêt de Fleury-Mérogis compte 1 800 agents, dont plus de 900 habitent la commune, avec un turn-over important, puisque chaque année, ils sont 150 à quitter notre ville et autant à y arriver. Pour une partie importante, ces agents sont originaires des DOM-TOM, et ont à gérer une installation en métropole. La collectivité doit être capable de prendre en charge leur accueil et leur vie, avant et après l’exercice de leur fonction. Elle doit être en mesure de répondre positivement à leurs besoins, et à ceux de leurs familles. Avec la municipalité, nous avons ainsi élargi l’amplitude horaire de l’ouverture des crèches et des accueils périscolaires. Nous sommes également engagés dans une bataille publique pour obtenir, sur la commune, la construction d’un collège. La ville en est privée alors que, en 2025, plus de 700 jeunes Floriacumois âgés de 11 à 15 ans se rendront chaque jour dans une ville avoisinante pour étudier. Ce sont ces points que j’ai soumis au ministre.
« Les maires discutent seuls face à un interlocuteur qui, en général, impose son point de vue sans prendre en considération l’expertise des exécutifs locaux qui sont les représentants de la population. »
— Vous avez le sentiment d’avoir être entendu ?
OC : Le ministère de la Justice prend peu en compte les enjeux territoriaux. On se retrouve face à une administration qui ne sait pas intégrer les situations locales dans ses schémas. Je vais prendre l’exemple du logement pour bien me faire comprendre. Pour accueillir l’ensemble des personnels de la prison, il est besoin de quatre cents nouveaux logements. Sur ce point, le ministère privilégie la construction sur des zones à proximité de la prison pour maintenir les personnels dans leur environnement de travail. Je me bats au contraire pour le décloisonnement des quartiers, le brassage et la mixité sociale. Mon objectif est que ces agents ne vivent pas Fleury-Mérogis comme un lieu de passage, mais puissent « faire-ville ». Dès lors, pour moi, il s’agit de les faire sortir du périmètre où ils exercent leur métier, faciliter leur rencontre avec les associations locales, avec des personnes qui ont des expériences de vie différentes des leurs. Il serait bon qu’un vrai dialogue s’instaure avec le ministre de la Justice, qu’il apprenne à travailler avec les territoires. Ça n’a pour le moment jamais été le cas. Éric Dupont-Moretti sera-t-il le premier ministre de la Justice à entamer sincèrement cette démarche ?
— La question est-elle d’abord financière ?
OC : Il faut bien sûr un réengagement financier de l’État. Le centre de Fleury-Mérogis occupe 25 % de l’espace foncier de la commune, mais ne fait l’objet d’aucune compensation financière, étant rattaché au ministère de la Justice. Certes, le fait d’héberger un établissement de ce type donne droit à une légère augmentation de la Dotation Globale de Fonctionnement (DGF). Mais, cela reste dans des proportions négligeables tandis que les aides aux communes se réduisent d’année en année. À l’inverse, couvrir l’ensemble des besoins des agents du ministère appelle un développement des services publics de proximité adaptés à leurs particularités. Cette situation fragilise la ville déjà confrontée à la pauvreté, à la précarité, à la violence. Début août, un jeune est décédé à la suite d’affrontements. C’est pourquoi j’ai demandé publiquement l’annulation des baisses de dotation.
— Vous coanimez « Territoires et prisons », un réseau des villes qui accueillent des prisons. Pourquoi cette démarche ? Quelles revendications plus particulières portez-vous ?
OC : C’est un travail collectif, que nous avons entrepris avec Philippe Benassaya, ancien maire et député de Bois-d’Arcy. Il a piloté, sous le précédent mandat, la commission parlementaire sur les établissements pénitentiaires. Ensemble, nous faisons le même constat que les territoires sont les grands absents des politiques du ministère de la Justice. Les maires discutent seuls face à un interlocuteur qui, en général, impose son point de vue sans prendre en considération l’expertise des exécutifs locaux qui, pourtant, sont les représentants de la population. C’est un gâchis, car nous sommes extrêmement complémentaires. Les territoires sont acteurs de la réinsertion des détenus, pourvoyeurs de services publics pour les agents du ministère, fournisseurs de fonciers pour la création d’établissements, etc., et pourtant, aucune formalisation d’engagement réciproque n’existe. L’objectif de l’association « Territoires et prisons », dont la première assemblée générale a eu lieu en février 2022, est de créer les conditions d’un dialogue dans le but de créer un partenariat avec le ministère de la Justice. Son autre ambition est de permettre aux maires d’être dotés d’un outil efficace afin de ne plus se sentir démunis face à leurs interlocuteurs ministériels.
Propos recueillis par Marie-Pierre VIEU-MARTIN