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Christian Huyghe : « Penser une agriculture moderne qui renoue avec des solutions régulatrices naturelles »

Rencontre avec Christian Huyghe, directeur scientifique à l’INRAE.
La rédaction
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Publié le 28 février 2023

— Pourquoi les questions autour de l’avenir du modèle agricole se posent-elles aujourd’hui avec autant d’acuité ?

Christian Huyghe : Les préoccupations autour de la qualité et du prix de l’alimentation ont récemment gagné en visibilité avec la question de l’inflation et de notre souveraineté alimentaire, et la peur que des produits viennent à manquer. Pourtant, la crise sanitaire a prouvé la solidité de nos chaînes alimentaires. Quant aux prix, il ne faut pas perdre de vue que la part du budget consacré par chaque foyer à son alimentation reste très faible, de l’ordre de 12 % aujourd’hui — hors alcool et tabac —, contre 27 % en 1960. Cette diminution est liée à la fois à l’augmentation des revenus et à la baisse des prix moyens.

— Pourquoi les prix ont-ils baissé, et depuis quand ?

C.H. : Depuis 1960, on est passé de 2,5 millions à 390 000 exploitations agricoles, pour la même surface agricole utile, ce qui signifie que la surface agricole travaillée par actif est aujourd’hui beaucoup plus importante. Cela est lié aux moyens de production mobilisés, avec pour double objectif de maintenir la rémunération des acteurs et d’avoir des produits alimentaires à bas prix. Mais cette évolution se traduit aussi par une augmentation du recours aux intrants et une plus grande immobilisation du capital, avec des impacts sur le milieu. La recherche les décrit depuis longtemps, mais ils ont mis du temps à apparaître au grand jour.

« L’agriculture de demain aura à la fois recours aux ressources du milieu et à des processus innovants complexes »

— C’est aujourd’hui le cas…

C.H. : Aujourd’hui, on prend de plein fouet cette situation, avec des impacts importants sur la qualité de l’air et de l’eau, avec la présence de nitrates dans les nappes phréatiques et des traces durables de l’utilisation massive des pesticides, même si celle-ci baisse. L’agriculture, qui est directement impactée par le changement climatique, n’en est pas la seule responsable, mais pour 3 % du PIB elle est responsable de 19 % des émissions de gaz à effet de serre. Si elle est à la fois responsable et victime, elle peut aussi être une solution d’avenir pour assurer une production capable de répondre à la demande, tout en préservant les milieux.

— En quoi peut-elle être une solution ?

C.H. : L’agriculture doit tout d’abord jouer son rôle dans la réduction des
émissions de gaz à effet de serre. Certes, le secteur n’émet pas beaucoup de CO2, mais il génère du méthane et du protoxyde d’azote, qui a un pouvoir de réchauffement beaucoup plus important que le CO2 (265 fois plus élevé pour le protoxyde d’azote et 28 fois pour le méthane). Pour atteindre la neutralité climatique, il faut réduire ces émissions et essayer de capturer du CO2. L’agriculture, qui a sa part de responsabilité dans la perte de biodiversité, doit
aussi contribuer à restaurer le milieu, par la diversification des cultures et une nouvelle organisation des paysages agricoles qui limite l’extension des cultures pour préserver les prairies permanentes qui sont très riches en biodiversité.

— Est-ce que cela signifie qu’il faut revenir au modèle agricole antérieur ?

C.H. : On ne peut pas revenir en arrière et ceci n’est pas souhaitable. Ce qu’il faut, c’est penser une agriculture qui renoue avec ces solutions régulatrices naturelles qu’on a délaissées au profit de la mobilisation des capitaux et des intrants. Il faut par exemple diversifier les cultures, pour une occupation quasi
permanente des sols sur l’année et ainsi une optimisation de la production. En outre, il a été démontré que sur de grandes surfaces, la régulation biologique, via les insectes et les champignons, ne fonctionne pas, contrairement à des parcelles de trois hectares. Il ne faut pas pour autant revenir à de petites parcelles agricoles, mais réussir à créer des modalités de culture plus efficaces, comme la technique du « strip-till », qui consiste à cultiver des bandes de cultures différentes.

— Quelle est la place de l’innovation pour dessiner le modèle agricole de demain ?

C.H. : Elle est considérable, qu’il s’agisse d’équipements performants, d’outils de pilotage et d’aide à la décision, ou de l’élaboration de nouvelles logiques de sélection des variétés, pour avoir des cultures qui fonctionnent mieux en association les unes avec les autres. Un exemple : la variété de blé utilisée aujourd’hui est faite pour être cultivée seule, en culture pure ; demain, il en faudra qui se développent en association avec d’autres cultures. L’innovation porte aussi sur la lutte contre les maladies et le recours aux organismes auxiliaires, pour protéger les cultures. Nous travaillons par exemple à enrichir le microbiote des végétaux ou à modifier les champs d’odeurs auxquels les insectes sont sensibles, pour faire fuir les nuisibles ou au contraire encourager la reproduction des auxiliaires dont on a besoin, comme les coccinelles, pour lutter contre les pucerons. L’agriculture de demain aura à la fois recours aux ressources du milieu et à des processus innovants complexes.

« C’est une période très intéressante, avec pour principal facteur d’optimisme le fait que plus personne ne remet en cause l’obligation d’un changement de trajectoire, ce qui n’était pas le cas il y a cinq ans »

— Ces dispositifs seront-ils accessibles à toutes les tailles d’exploitation ?

C.H. : Ils sont coûteux, mais ils pourront être amortis sur des exploitations de petites tailles. Je crois que le gouvernement a conscience des enjeux qui se nouent autour de la capacité à faire de la R & D un véritable levier de transition. La question aujourd’hui est de savoir à quoi ressemblera le modèle agricole de demain. Compte tenu de l’âge des agriculteurs, 50 % des surfaces seront libérées d’ici dix ans, c’est le moment d’amorcer une transition des modèles, en intégrant les évolutions dont on a parlé et en réussissant à faciliter l’installation de jeunes qui ne sont pas issus du monde agricole. C’est une période très intéressante, avec pour principal facteur d’optimisme le fait que plus personne ne remet en cause l’obligation d’un changement de trajectoire, ce qui n’était pas le cas il y a cinq ans.

— Quelle peut être la place des collectivités locales dans cette transition ?

C.H. : Les territoires d’innovation, qui associent une grande diversité d’opérateurs, constituent une voie prometteuse, comme en témoignent les actions conduites en Bretagne autour de l’élevage et du bien-être animal, en Nouvelle-Aquitaine avec la viticulture et la sortie des pesticides ou encore à Dijon, pour une alimentation durable. L’INRAE est très impliquée dans ces living-labs, car il faut mettre autour de la table le plus d’interlocuteurs possible afin de trouver, avec les élus locaux et la société civile, des solutions pour concilier les logiques privées de production et la protection des biens communs que sont l’environnement et la santé humaine.

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