Elle est devenue réalité. Il y a encore un an, dans l’esprit du plus grand nombre, l’intelligence artificielle (IA) relevait encore de la science-fiction. L’arrivée dans la sphère publique de ChatGPT, développé par la société OpenAI, en novembre dernier a eu l’effet d’une bombe. Pourtant déjà présente dans de nombreux domaines, elle est désormais à la portée de tous, y compris des élus et des administrations publiques. Le 8 mai dernier, le maire de Chartres, Jean-Pierre Gorges, prononçait un discours à l’occasion des cérémonies de commémoration de la capitulation nazie qui allait faire date et même défrayer la chronique. « Anciennement directeur de systèmes d’information pendant une trentaine d’années, et passionné par les nouvelles technologies, je suis de près l’évolution de l’IA, expliquet-il. J’avais le bras en écharpe au moment de la préparation de ce discours, il m’était donc difficile de le rédiger. J’ai pensé que ce serait l’occasion de mettre à l’épreuve cette technologie de façon très concrète. Je suis maire de Chartres depuis 2001, j’ai donc 22 discours du 8 mai à mon actif, j’étais curieux de voir ce que ChatGPT produirait. »
BLUFFANT, MAIS PAS ANODIN
Anodin ? Certainement pas. Bluffant, assurément. « Il manquait certains éléments de contexte dans la première proposition de ChatGPT, souligne Jean- Pierre Gorges. J’ai donc affiné ma demande, effectué quelques modifications et conservé cette seconde version. Le discours produit est un discours factuel qui intègre des éléments spécifiques au territoire chartrain, que j’aurais personnalisés davantage. En le lisant, on relève quelques lourdeurs, quelques répétitions, mais le résultat est très satisfaisant. Il est facile à interpréter, à incarner en public. Par ailleurs, il s’agissait qu’il serve d’appui à introduire la thématique de l’IA à Chartres. »
AMÉLIORER LES SERVICES PUBLICS
L’élu d’Eure-et-Loir le reconnaît : la réflexion pour intégrer cet outil dans le fonctionnement de son appareil municipal est déjà bien engagée. « J’ai demandé que nous préparions sa mise en place dans des outils destinés à améliorer la relation citoyenne, les services publics, et l’administratif, confie-t-il. L’enjeu est que nous “sous-traitions” autant que possible tout ce qui ressort du récurrent, de l’automatique et de la recherche d’information, pour que nos personnels puissent consacrer leur intelligence, la vraie, à des tâches à valeur ajoutée, au profit de l’augmentation de l’efficacité de nos services. » Et ce n’est que le début. « On n’en est qu’à l’apéritif de quelque chose qui, lorsqu’on arrivera au plat de résistance, va bousculer beaucoup de métiers intellectuels, prévient Franck Confino, consultant en communication numérique. Cela va permettre d’automatiser des tâches qu’on effectuait auparavant. Il est hors de question de laisser passer le train. On peut faire un parallèle avec l’arrivée des premiers ordinateurs : cela n’avait plus de sens de continuer à taper à la machine à écrire. L’outil vient aider et appuyer le travail. » À Saint-Étienne, une première campagne de communication publique sur la nature en ville a été conçue par l’intelligence artificielle, en l’occurrence le générateur d’images Midjourney, et ChatGPT pour le texte de l’accroche. « Il a fallu de nombreuses propositions avant de trouver celle qui convienne et la retravailler pour concevoir le visuel final », nuance Anne Revol, rédactrice en chef de l’infolettre Point Commun éditée par le réseau de la communication publique et territoriale Cap’Com. Mais cela a permis à la direction de la communication de renouveler son approche sur un sujet traité de manière récurrente.
GARDE-FOUS
Toutefois l’IA fait peur, car elle pourrait. bien bousculer non seulement les usages, mais aussi le marché du travail dans son ensemble. À Montpellier, par exemple, la décision a été prise d’interdire aux services l’utilisation des outils d’IA, en attendant d’y voir un peu plus clair. Mais il faut faire vite. Le 6 juillet dernier, dans le cadre de la journée « Les données et l’IA au service des politiques publiques des territoires » organisée au Hub des territoires, à Paris, Les Interconnectés, France urbaine et Intercommunalités de France ont dévoilé le plan d’action national d’observation des usages de l’IA dans les territoires. « Pour les collectivités locales, il est primordial de nous saisir dès maintenant de ces évolutions, autant pour mieux mesurer les fonctionnalités possibles que pour donner une voix politique au déploiement des IA et des algorithmes, assure Franckie Trichet, président des Interconnectés et vice-président de Nantes Métropole en charge du numérique. Il y a un véritable enjeu à pouvoir donner de la matière à un sujet qui parfois nous dépasse et qui, pourtant, est appelé à entrer dans nos usages. Nous devons poser des garde-fous et ne pas accueillir le déploiement des IA comme un phénomène éloigné, sur lequel nous n’avons aucune prise. »
L’IA n’est qu’un outil, dont le développement est fulgurant. Un deuxième cerveau qu’il faut apprendre à dompter, à apprivoiser, mais sans tarder.