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En mai dernier, la nouvelle alertait jusqu’à la presse nationale. « Creuse : la ville de Bourganeuf vend sa chapelle du XIIe siècle », annonçait ainsi France Info le 25 mai 2023, précisant que parmi les candidats au rachat se trouvait « l’épicerie bio située en face, qui souhaiterait en faire un lieu de restauration ». L’histoire est un peu plus compliquée, mais elle illustre les difficultés des petites communes à entretenir leur patrimoine historique et architectural, sujet qui a récemment mobilisé à deux reprises l’attention du Sénat (lire ci-après).
Comme les autres communes, Bourganeuf (2 700 habitants) est confrontée à la flambée des prix de l’énergie. « Dans notre budget de fonctionnement prévisionnel, nous avons intégré des hausses de 40 % pour l’électricité et de 80 % pour le carburant », explique Marie-Hélène Pouget-Chauvat, maire adjointe chargée des finances et de la culture.
GRATTER DANS TOUS LES SENS
Mais Bourganeuf, ancienne commanderie de l’ordre des Hospitaliers de Saint-Jean de Jérusalem fondée au XIIe siècle, est aussi en quelque sorte victime de la richesse de son patrimoine architectural dont l’entretien pèse lourd dans les finances de la ville. C’est le cas pour les deux églises consacrées. La chapelle de Notre-Dame du Puy (créée au début du XIIIe siècle, rebâtie au XVIIIe puis à la fin du XIXe), très délabrée et fermée en 2018, a rouvert ses portes en juin dernier.
Entre les aides de l’État, du Conseil départemental de la Creuse, de la Fondation du patrimoine et de la Mission Patrimoine confiée à Stéphane Bern, la commune a obtenu quelque 78 000 euros, mais a dû en débourser 281 000. C’est maintenant le tour de l’église paroissiale Saint-Jean-Baptiste. « Il va y avoir cette année 1 million de travaux, financés certes à 56 %. Il nous reste néanmoins plus de 400 000 euros à trouver, ce qui est énorme au regard de notre budget de fonctionnement d’un peu plus de 3 millions », détaille la maire adjointe. « S’ajouteront deux tranches de 1 million d’euros, qui ne seront sans doute pas aussi bien financées. Et c’est sans compter la toiture de la tour Lastic et l’aménagement de la tour Zizim pour rester sur le patrimoine historique… et les hausses sur les devis liées à l’envolée des matières premières. Finalement, après la nécessaire contribution au budget d’investissement, il manquait 18 900 euros pour équilibrer notre budget prévisionnel.»
Comme le dit l’élue, « il a fallu gratter dans tous les sens ! » Sur les budgets voirie, bibliothèque des écoles, concours d’illuminations… Et se résoudre à vendre des biens immobiliers municipaux. Notamment la salle de gymnastique Jean Jaurès, mise à prix 50 000 euros, qui du fait de la baisse du nombre d’habitants et sans doute de leur vieillissement, n’était plus utilisée que onze heures par semaine. Mais aussi la Maison Morlat, datant des années 1850, qui était utilisée comme zone de stockage, mise à prix 40 000 euros. Et donc la chapelle de l’Arrier, datant des XIIe et XVIIe siècles, inscrite a u x Monuments historiques depuis 1937 et mise à prix 27 000 euros selon l’estimation des services du Domaine. Ancienne église paroissiale, cette chapelle reprise par la confrérie catholique laïque des Pénitents blancs à la fin du XVIe siècle a été désacralisée. Rachetée par la commune en 1972, elle a servi de salle d’exposition, sans avoir fait depuis l’objet de tous les travaux nécessaires.
VENDRE SANS BRADER
Malgré tous ces sacrifices, la municipalité, qui s’était engagée à ne pas augmenter les impôts et voulait se désendetter, a dû souscrire un nouvel emprunt de 35 000 euros. « On a ainsi bouclé le budget, un budget de crise, et c’est très triste ! », commente Marie-Hélène Pouget-Chauvat, qui souligne l’écoute et le bon accueil qu’ont faits à la municipalité la Direction régionale des affaires culturelles, le curé de la paroisse, l’évêché, les fondations contactées… Tous cependant limités par le manque de moyens. Quant à l’appel aux dons pour cofinancer les restaurations, l’élue le juge difficile : « nous sommes une région très paupérisée et nous y avons déjà eu recours via Collecticity [une plateforme de financement participatif citoyen et institutionnel dédié au secteur public et parapublic, NDLR] pour le Pôle des Énergies, inauguré en 2022, lieu de réflexion sur la transition énergétique et les renouvelables. »
Le manque de moyens pour entretenir un riche patrimoine historique est d’autant plus frustrant que c’est justement celui-ci qui peut attirer des touristes dans cette petite ville rurale du Limousin. Les restes du château des Hospitaliers, la tour Zizim1 construite entre 1484 et 1486 pour servir de résidenceprison au prince Djem (Zizim est une déformation de son nom), fils du très puissant sultan ottoman Mehmet II, chassé du pouvoir par son frère Bajazet… C’est une histoire extraordinaire qui méritait une scénographie dont la réalisation ne sera hélas pas possible. En tout cas pour l’instant. Quant à la chapelle de l’Arrier, si la municipalité la vend, elle ne la brade pas : l’acquéreur doit avoir les capacités financières de la restaurer et porter un projet culturel ouvert à tous. Après réception des candidatures au cours de l’été, le conseil municipal devait se prononcer mi-septembre.