ENTRETIEN

Contenu abonné

Sébastien-Yves Laurent, dans les coulisses de l’État secret

Sébastien-Yves Laurent est professeur à l’université de Bordeaux où il dirige l’Institut de recherche Montesquieu. Il est l’un des fondateurs de l’étude du renseignement dans l’université française. Maniant sociologie historique et théorie politique, il nous propose dans son dernier essai une enquête passionnante à travers le temps – plus de 1 000 ans – dans trois pays : Angleterre, France et États-Unis. Il y démontre que les secrets d’État résistent très bien à l’idéologie de la transparence et à l’expansion des technologies numériques.
La rédaction
Dominique Sicot
Publié le 30 juillet 2024

Les États mettent en avant leur coopération. Mais dans le même temps, ils sont des compétiteurs économiques, technologiques… Et cette compétition prend la forme d’affrontements numériques permanents.

Malgré le discours dominant sur la transparence dans les démocraties occidentales, la part d’ombre de l’État est-elle inéluctable ? Peut-on dire qu’elle est légale ?

Sébastien-Yves Laurent : En effet, il y a, depuis une trentaine d’années, un discours très puissant sur la transparence qui est aujourd’hui fortement banalisée. Et en même temps, il est facile de faire le constat, souvent à l’occasion de crises internes ou externes de l’État, qu’il y a des zones d’ombre. C’est un peu le point de départ de mon livre. Je pense que, non seulement, cette part d’ombre est inéluctable, mais qu’elle ne va pas se rétrécir. Cette part d’ombre – cet État secret ou clandestin – est inscrite dans cette forme sociale très particulière qu’est l’État. Elle n'est pas un accident, ni une phase terminale de son histoire. L’État était à l’origine, lorsqu’il s’est construit dans sa forme occidentale au Moyen Âge, totalement secret. Il s’est lentement publicisé, notamment sous l’influence de l’idéologie libérale au XIXe siècle. Et au moment où l’État se publicisait, il a aussi commencé à construire une partie secrète qui, dans ce nouveau contexte de publicité, paraissait un phénomène un peu hétérodoxe, alors que c’est de là que vient l’État. Aujourd’hui, dans nos vieilles démocraties – États-Unis, France et Grande-Bretagne –, on peine à l’imaginer.

« L’État était à l’origine totalement secret lorsqu’il s’est construit dans sa forme occidentale au Moyen Âge »

J’ai donc voulu montrer ce jeu entre publicité, transparence et persistance du secret. Quant à la légalité, les démocraties libérales se sont efforcées d’entrer dans un mouvement d’institutionnalisation et de légalisation de l’État secret. Il y a donc toute une composante secrète de l’État qui est légale. Et aussi une autre qui est l’État clandestin. Ce n’est pas pour autant un État illégal. Il est dans une zone que j’appelle, à la suite du doyen Carbonnier, le « non-droit ».

Pouvez-vous préciser ces deux concepts d’État secret et d’État clandestin ?

S.-Y. L. : J’ai créé le concept d’État secret dans un livre publié en 2009, Politiques de l’ombre (Fayard), où j’étudiais sa formation en France au XIXe siècle. J’ai repris ce travail pour ce nouveau livre, en l’étendant à deux autres pays et en étirant la perspective historique. L’État secret, c’est la composante de l’État qui demeure secrète tout en étant inscrite dans un cadre légal. On peut dire qu’elle est rendue légitime parce qu’elle est rendue légale par l’État. Cet État secret naît à partir de la deuxième moitié du XIXe siècle avec l’institutionnalisation des services de renseignement qui entrent alors dans leur modernité et il ne cesse de s’élargir. Tous les processus relativement récents mis en place dans...

Il vous reste 80% de l'article à lire.
L’inspiration politique réserve la suite de cet article à ses abonnés, mais serait ravie de vous compter parmi eux.
Rejoignez une aventure éditoriale
libre et inspirante

ça peut vous intéresser

Innovation

Angers Loire Métropole franchit un cap décisif dans son projet « Territoire Intelligent » avec le lancement de la phase 2 (2025-2032). Après avoir équipé le territoire d’infrastructures connectées, la...

Innovation

À Playa del Carmen, commune balnéaire sur le littoral de la mer Caraïbe, on se mobilise pour lutter contre les méfaits de l’échouage des sargasses. Et pour cause, ces algues viennent impacter...

Innovation

À Luleå, commune de 80 000 habitants, située à 150 kilomètres au sud du cercle polaire, en Suède, la municipalité a mené une campagne pour inciter les habitants à se saluer...

Innovation

Mettre le numérique au service de la participation citoyenne au niveau local, tel est le projet CiTe.bj. Il a été lancé à titre expérimental à l’initiative de l’Association nationale...

Innovation

Les agents municipaux partagent un café autour d'une table

Depuis le mois de septembre 2024, les agents municipaux de Grand-Quevilly, en Seine-Maritime, sont invités une fois par mois à prendre un café dans le hall d’honneur de l’hôtel...

Innovation

Cérémonie d'inauguration de rue

En seulement deux ans, Bonneuil-sur-Marne (94) est devenue la ville de plus de 10 000 habitants la plus féminisée de France en matière d’espace public. Entre l’annonce du projet...

Innovation

Prêter aux seniors isolés un animal de compagnie pour qu’ils se sentent moins seuls. Telle est la vocation du dispositif Vivre Mieux Ensemble porté par le CCAS de Cambrai dans...

NE PERDEZ PAS L’INSPIRATION,

ABONNEZ-VOUS À LA NEWSLETTER

Votre adresse de messagerie est uniquement utilisée pour vous envoyer les lettres d’information de la société Innomédias. Vous pouvez à tout moment utiliser le lien de désabonnement intégré dans la lettre d’information.
En savoir plus sur la gestion de vos données personnelles et vos droits