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ÉCOLOGIE la route emprunte de nouvelles voies

Souvent laissée dans l’angle mort des politiques de mobilité, la route continue de supporter 82 % de nos déplacements. Plutôt que de la condamner, se pose la question de la rendre moins polluante dans sa production comme dans son utilisation. Voici quelques itinéraires bis.
alain bradfer
Alain BRADFER
Publié le 19 avril 2024

La route a traversé l’histoire et poursuit son chemin. En pavant, 118 ans avant notre ère, les 780 kilomètres de la voie Domitienne entre l’Italie et la Catalogne, les Romains ont posé les premières bornes d’un réseau qui n’a cessé de s’étendre et de densifier.

Vingt-deux siècles plus tard, la France compte 1,1 million de kilomètres de voies routières, soit le troisième réseau le plus important d’Europe, rapporté à la superficie du pays, après ceux des Pays-Bas et de la Belgique.

Ce qui fit l’une des fiertés de la France au mitan du siècle dernier est aujourd’hui dégradé à près de 50 % selon l’Observatoire des Routes. « Malgré leur image de robustesse, les routes françaises se dégradent, car elles subissent des trafics nombreux et de plus en plus lourds. Ces dégradations sont accentuées par les impacts du changement climatique. En effet, des étés plus chauds et des amplitudes de température plus importantes d’une saison à l’autre tendent à réduire la durée de vie des chaussées et des ouvrages d’art », écrit Yves Krattinger, président de l’Institut des Routes, des Rues et des Infrastructures.

Incontournable en zone rurale et en grande banlieue

Accusée de tous les maux, à commencer par les 82 % des déplacements qu’elle supporte, responsable de 31 % des émissions de gaz à effet de serre (GES) et de son emprise foncière artificialisée, la route est pourtant loin d’avoir perdu la partie dans la concurrence entre les modes de transport. Une réalité statistique s’impose.

Selon l’INSEE, un tiers des personnes en activité résident dans une commune rurale et plus de la moitié d’entre elles travaillent dans une zone urbaine. Cette moitié, sans accès à des transports en commun, effectue quotidiennement un parcours de 13 kilomètres pour se rendre au travail. Cette part de la population totalisait 200 millions de kilomètres/jour en 1999. Elle aligne dix ans plus tard 320 millions de kilomètres/jour en aller-retour. Soit 60 % d’émissions de GES supplémentaires. La route demeure la reine des déplacements à hauteur de 90 % dans la ruralité et de 70 à 90 % en périphérie des grandes métropoles.

Reste à savoir comment on emprunte et partage la route pour des usages sans carbone ou moins polluants. La marche et le vélo sont les premiers modes qui viennent à l’esprit et sont largement encouragés. La première s’épuise au-delà de deux kilomètres en campagne et le second – à l’exception notable des villes – ne dépasse guère 1,9 % de pratiquants en périphérie, pour des distances de 5 kilomètres au maximum, sur les 22 000 km de pistes cyclables qui ont été tracées. C’est un premier pas important, mais insuffisant.

La voiture électrique gagne du terrain à raison de 30 % d’accroissement de ses ventes annuelles depuis deux ans. Malgré le bilan écologique désastreux de sa fabrication, elle demeure vertueuse à l’usage. L’échéance de 2035 est fixée pour l’interdiction de la vente de voitures à moteur thermique, elle partagera encore la route avec celles-ci jusqu’à leur extinction vers 2050.

Les limites du train, le renouveau du car

Autre solution : le recours aux transports en commun. À condition de réfléchir l’offre sans a priori, en utilisant tous les modes. « Tous les trafics progressent et les parts de marché changent peu. En vingt ans, malgré un quasi-doublement des trafics TGV et TER, la part du ferroviaire est seulement passée de 9 à 11 % », observe Jean Coldefy, président du think tank de l’Union routière de France et expert des mobilités. « Le fétichisme ferroviaire français oublie que l’objectif n’est pas de faire rouler des trains, mais de déplacer des personnes.

Ainsi, il est plus écologique et cinq fois plus économique de transporter trente personnes avec un car consommant 35 litres aux 100 kilomètres qu’avec un train diesel à 200 litres aux 100 kilomètres », insiste-t-il.

« SI L’ON PASSE DE 35 MINUTES EN VOITURE À 45 MINUTES EN CAR, ON DEMEURE COMPÉTITIFS EU ÉGARD AU CONFORT »

François DUROVRAY, président du conseil départemental de l’Essonne

Un raisonnement qui conduit au partage de la route. Sur ce thème, empruntant un ton provocateur, François Durovray, président du Conseil départemental de l’Essonne, proclame : « On doit continuer à investir sur la route. » Auteur d’un rapport sur les mobilités qui lui a été commandé par Valérie Pécresse, présidente de la région Île-de-France, il en est arrivé à la même conclusion que Jean Coldefy, c’est-à-dire une promotion du car en périphérie des métropoles, dans un rayon d’une cinquantaine de kilomètres. Son département donne l’exemple avec une liaison mise en place il y a vingt ans entre Dourdan et Massy-Palaiseau où se joue l’intermodalité par une liaison avec le RER et le TGV. « Il y a un car toutes les cinq minutes et il est plein », insiste-t-il. « Le trajet domicile-travail en voiture coûte entre 400 et 500 euros par mois à ceux qui le pratiquent, contre 43 euros en car », argumente-t-il. D’autres départements misent sur le covoiturage dont le bilan a plus de triplé entre 2022 et 2023, même s’il ne pèse que 1 % des trajets du quotidien.

L’évolution des distances parcourues selon le mode de transport

Ce graphique présente une estimation de l’évolution de la distance parcourue en France par personne et par jour en moyenne, de 1819 à 2019.

Evolution des distances parcourues

La trentaine de passagers d’un car équivalent à une trentaine de voitures qui n’ont pas pris la route. François Durovray proposait une centaine de lignes pour l’Île-de-France, 45 ont été retenues dont certaines relèvent de l’aménagement du territoire, telle celle qui relierait Étampes à Fontainebleau en passant par Milly-la-Forêt. Reste le temps de parcours, forcément soumis aux aléas de la circulation. « Si l’on passe de 35 minutes en voiture à 45 minutes en car, on demeure compétitifs eu égard au confort. Les transporteurs proposent des cars dotés du Wi-Fi et de prises USB, voire de sièges en “club 4” qui permettent de poursuivre des réunions », oppose celui qui a estimé les coûts à 70 millions d’investissement et à autant en frais de fonction­nement.

Un boulevard pour la contestation

La récente mobilisation des agriculteurs le rappelle : la route reste un enjeu et un espace d’expression politique de la contestation. Bloquez les grandes voiries, c’est la certitude d’interpeller fortement l’opinion et les responsables politiques, bien au-delà de la gêne occasionnée. Historiquement, toutes les grandes manifestations se déroulent dans les grandes artères des villes les plus importantes. On s’y est habitué. En revanche, quand la mobilisation se déplace vers la périphérie et les accès aux métropoles et zones d’activités et de commerce, l’impact est maximal dans l’opinion et les médias, obligeant à prendre des décisions rapides : Gilets jaunes et agriculteurs l’ont bien compris !

Enfin, la route reste au centre des enjeux politiques : ZFE, taxation des carburants, limitation de vitesse ou constructions d’autoroutes sont à l’origine de mouvements de contestation quasi permanents dans notre pays de Gaulois réfractaires qui n’arrêtent jamais leur char… 

Comment faire rue commune

Transformer les rues ordinaires en espaces publics partagés…
c’est le pari de Rue commune. Il s’agit d’identifier les rues des villes qui peuvent faire l’objet de transformations pour sortir du « tout bagnole » : végétalisation, place des transports en commun et des mobilités douces, espaces de vivre ensemble, commerces de proximité… Rue commune propose une méthodologie rigoureuse pour identifier les rues concernées et construire des projets réalistes « en réunissant autour d’une même table décideurs publics et acteurs privés, professionnels de l’aménagement et usagers ». Cette démarche est portée par des entreprises privées avec le soutien de l’Ademe : Richez_Associés, Franck Boutté Consultants et Leonard, plateforme de prospective et d’innovation de VINCI.

En savoir plus : bit.ly/RueCommune

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