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Décentralisation Lecornu laisse les élus songeurs

À peine nommé, Sébastien Lecornu relance le chantier de la décentralisation. Associations d’élus et experts saluent l’intention, mais pointent des incertitudes majeures. Entre scepticisme et appels à l’audace, le débat sur l’avenir des territoires est ouvert.
Bruno LAFOSSE
Publié le 27 septembre 2025


Chiche, mais… L’annonce d’un nouvel acte de la décentralisation faite par Sébastien Lecornu à peine nommé Premier ministre, avant même d’avoir constitué un gouvernement, a pris de court les élus locaux et leurs associations. Comme à l’accoutumée, l’objectif affiché est de clarifier les compétences, rapprocher l’action publique des citoyens et redonner du souffle aux territoires. Le nouveau chef du gouvernement s’est fendu d’un courrier aux élus locaux pour annoncer une consultation d’ici au 31 octobre avant de déposer un projet de loi. Les domaines ciblés sont nombreux : santé, logement, culture, transport, environnement.
Chiche ! Ont répondu les associations d’élus et quelques personnalités… sans manquer toutefois de souligner les limites de l’exercice. Le président de l’Association des maires de France (AMF), David Lisnard, accueille l’initiative avec réserve : « Il y a une volonté de dialogue entre l’exécutif et les maires, mais cela nécessite qu’il y ait un gouvernement et une majorité pour voter une vraie loi de décentralisation. » Il insiste : « Il ne faut pas que ce soit un cheval de Troie pour des transferts de charges non compensés. »
Même tonalité prudente du côté de Sébastien Martin, président d’Intercommunalités de France, qui appelle à « une véritable concertation avec l’ensemble des associations d’élus ». Il défend une logique de confiance dans les territoires, notamment via l’expérimentation d’une décentralisation des aides à la rénovation énergétique. « Les collectivités doivent pouvoir agir, surtout dans un contexte où nos concitoyens demandent stabilité et efficacité », alerte-t-il. Dans la même veine, l’association des villes de taille moyenne, Villes de France, avance que « l’intercommunalité (EPCI) constitue l’échelon opérationnel pertinent pour gérer la politique de l’habitat. Dans cette perspective, il convient de renforcer le rôle des autorités organisatrices de l’habitat (AOH) » propose l’association. Avant de souligner que « Toute compétence transférée doit s’accompagner des moyens réglementaires et fiscaux nécessaires. Villes de France propose notamment que les droits de mutation à titre onéreux (DMTO) soient attribués à la collectivité exerçant la compétence logement, avec liberté d’en fixer le taux. »
Pour Philippe Rio, maire de Grigny et président de la Coopérative des élu·e·s communistes et citoyens, le scepticisme est de rigueur. « Ce n’est pas un énième toilettage institutionnel qu’il faut, mais une transformation profonde », souligne l’élu qui se méfie des grands soirs sans lendemain, alors même que les moyens des collectivités sont en chute depuis 2007 sous l’effet de politiques libérales. Il dénonce une répartition injuste des ressources publiques : « En 2024, l’État consacre 105 milliards aux collectivités, contre 211 milliards aux entreprises sans évaluation ni conditionnalité. » Et pose une exigence claire : « La décentralisation doit être accompagnée des moyens nécessaires. »

Impuissance publique


D’autres élus se montrent plus enthousiastes : « Osez enfin la grande décentralisation », clame Valérie Pécresse, présidente de la Région Île-de-France dans une tribune au Figaro du 17 septembre. Elle voit dans cette annonce un message d’espoir pour dépasser « l’hypertrophie de l’État qui est devenue la source même de son inefficacité ». Et de prôner le recentrage de l’État sur ses missions régaliennes pour « libérer ailleurs la capacité d’agir des élus locaux ». Valérie Pécresse rappelle qu’elle a proposé en 2023 le transfert de pas moins de 43 compétences nouvelles, de l’aide aux entreprises au tourisme en passant par l’indemnisation des chômeurs… et de préconiser la suppression des agences nationale comme l’Ademe, reprenant un air déjà entendu à droite et à l’extrême droite.
« Le problème n’est pas le nombre de strates comparable à celui de nos voisins européens, prévient Franck Leroy président de la Région Grand-Est qui s’oppose par avance aux hypothèses de suppression d’une strate. Le vrai problème c’est l’État qui double sans cesse l’action des collectivités avec une administration parallèle qui brouille les responsabilités et entretient l’impuissance publique. » Et de proposer également une répartition entre les missions régaliennes dévolues à l’État au profit d’une liberté accrue des collectivités territoriales supposant « des moyens financiers réels mais aussi un véritable pouvoir réglementaire. » 


Fédéralisme ou jacobinisme ?

Le débat sur la décentralisation dépasse les seuls enjeux techniques et institutionnel. Il renvoie à des visions contrastées de l’organisation de l’État. Deux visions contrastées, régulièrement défendues dans nos colonnes. Ainsi Grégory Berckowicz propose de : « remplacer les régions par des provinces autonomes, dotées de larges compétences politiques, législatives et fiscales. » Il s’inspire des modèles ultramarins, comme la Corse, pour défendre une République décentralisée où les territoires retrouveraient leur capacité d’initiative. À l’inverse, le politologue Benjamin Morel cherche, lui, une voie d’équilibre : la décentralisation doit garantir l’égalité entre les territoires tout en leur donnant une réelle autonomie maîtrisée, en particulier aux communes qui doivent voir leurs responsabilités clarifiées et leurs ressources garanties.
Pour Arnaud Brennetot, professeur des universités en géographie politique et aménagement du territoire, la proposition de Sébastien Lecornu relève d’une forme d’illusion périlleuse : « l’idée avancée ici consiste à clarifier l’action publique, à éviter les redondances et interférences et, au-delà, à rendre plus rationnelle et économe l’organisation des institutions publiques, analyse-t-il. Une telle rhétorique, assimilée abusivement à la décentralisation, laisse entendre que chaque compétence pourrait être prise en charge par un niveau institutionnel optimal, justifiant que les autres niveaux lui réservent l’exclusivité ». Or questionne le géographe, « Qui peut croire que transition écologique ou accès à la santé peuvent être réglés à un seul niveau d’action ? Que peut faire un EPCI par exemple face aux grandes dynamiques démographiques d’échelle régionale (littoralisation, métropolisation, désertification) ? Comment une Région peut-elle accompagner les entreprises si celles-ci sont pilotées depuis des centres de décision extérieurs ? »
Quoi qu’il en soit dans un contexte de gouvernement minoritaire et de tripartition des forces à l’Assemblée, on voit mal comment un nouvel acte de décentralisation pourrait faire consensus, tout comme le vote du budget 2026. Dès lors ce que Sébastien Lecornu affiche comme un marqueur d’une nouvelle manière de gouverner risque d’apparaître comme une manœuvre supplémentaire d’un pouvoir isolé.

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