Décryptant les résultats d’une enquête1 inédite réalisée par l’Institut Terram et le Laboratoire de la République, en partenariat avec l’Ifop, Benjamin Morel alerte sur une crise profonde, souvent silencieuse mais désormais structurelle, qui fragilise le socle civique de la République : la commune.
Une démocratie locale affaiblie
Benjamin Morel dresse un constat sans appel : la démocratie municipale subit une érosion continue et multiforme. Les signes sont désormais bien identifiés : « raréfaction des candidatures, abstention, usure et isolement des élus, inégal accès selon le genre, la classe sociale et le territoire ». Ce qui fut longtemps un creuset civique – le conseil municipal – risque de devenir un lieu d’usure et de découragement. Le poids de la charge temporelle, l’inflation normative, l’absence de reconnaissance institutionnelle affaiblissent l’attrait pour le mandat local.
Toutefois, cette crise ne frappe pas partout de la même manière. Dans les petites communes rurales – qui représentent pourtant plus de 60 % du total en France – le renouvellement des listes devient un casse-tête. La désertification démographique s’ajoute à l’épuisement des volontaires. À l’autre extrémité du spectre, dans les grandes villes, le désengagement prend une autre forme : les citoyens restent mobilisés autour de causes spécifiques, mais se heurtent à la complexité administrative et au manque de temps.
S’y ajoutent des freins sociaux puissants. Les femmes restent largement sous-représentées dans les fonctions de maire, et les inégalités d’engagement sont encore plus marquées dans les petites communes. « Elles ne représentent qu’environ 20 % des maires et, dans les communes de moins de 1 000 habitants, elles n’occupent qu’un tiers des sièges de conseiller municipal », souligne l’analyse de la vie politique et des institutions. Le sentiment d’illégitimité, la difficulté à articuler vie familiale et vie politique, ou encore le manque de réseaux touchent particulièrement les femmes, les jeunes et les milieux populaires sous représentés dans l’engagement. L’enquête souligne d’ailleurs l’importance de l’implication associative ou religieuse comme tremplin vers l’engagement politique, notamment pour les citoyens issus de l’immigration.
Prédictions : trois trajectoires pour 2026 et après
Face à cette crise de fond, Benjamin Morel envisage trois scénarios possibles pour la démocratie locale. Le premier, le plus inquiétant, est celui d’un délitement progressif : les candidatures se font rares, les listes uniques se multiplient, l’abstention atteint des sommets, et le conseil municipal est progressivement marginalisé au profit d’un pouvoir technocratique intercommunal.
Le second scénario est celui d’une rationalisation technocratique, où la démocratie locale se transforme en machine gestionnaire. Les conseils municipaux deviennent de simples chambres d’enregistrement, les décisions s’éloignent des citoyens, et le lien de proximité – clé du contrat civique local – se délite.
Enfin, un troisième chemin est possible : celui d’une refondation civique. Ce scénario suppose une revalorisation à la fois statutaire et symbolique, du mandat municipal, une simplification des démarches pour candidater, un élargissement des formes d’engagement ainsi qu’un ancrage local de la démocratie participative.
Solutions : vers une revitalisation démocratique des communes
Pour donner corps à cette refondation, le constitutionnaliste propose cinq axes structurants. D’abord, il faut revaloriser le mandat municipal, à la fois symboliquement et matériellement : en améliorant sa reconnaissance sociale, en l’intégrant aux parcours professionnels, en rendant visible l’engagement des élus. Ensuite, il est nécessaire de réduire les barrières à l’entrée : la formation, l’accompagnement, les dispositifs de mentorat peuvent lever une partie des freins identifiés.
Troisième levier, encourager la participation sous toutes ses formes. Il s’agit ici de soutenir les listes citoyennes, d’innover avec des outils comme les jurys citoyens ou les budgets participatifs, et de mobiliser les publics éloignés, notamment les jeunes.
Quatrième pilier de cette revitalisation : reconstruire un écosystème civique local, en réactivant les solidarités associatives, les liens intergénérationnels, les coopérations entre collectivités, universités et acteurs de la société civile.
Enfin, aux yeux de Benjamin Morel, la démocratie municipale ne pourra retrouver son souffle qu’à condition de rééquilibrer les pouvoirs locaux. Cela suppose de redonner de l’autonomie aux communes, de clarifier leurs responsabilités et de garantir des ressources suffisantes pour agir.
• Télécharger l’enquête complète sur le site de Terram
- Une enquête inédite de l’Institut Terram et du Laboratoire de la République, administrée par l’Ifop auprès de 10 000 Français ↩︎