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Renaud Epstein : « L’Anru n’avait pas pour objectif d’empêcher les émeutes »

Depuis de longues années, Renaud Epstein est un observateur critique de la politique de la ville. Pour le spécialiste, l’Anru était nécessaire et a, au moins, tenu la promesse de rénover le bâti et le cadre de vie. Mais l’effort de solidarité pour mettre les quartiers à égalité avec l’ensemble du pays reste selon lui à faire.

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Renaud Epstein est maître de conférence en science politique à Sciences Po Saint-Germain-en-Laye
— L’Anru a été lancée il y a vingt ans par Jean-Louis Borloo. Les émeutes signent-elles l’échec des politiques de rénovation urbaine ? 

Renaud Epstein : Il s’agit d’un raccourci tout aussi faux que celui fait par Borloo en 2005 quand il affirmait que les quartiers où la rénovation urbaine était la plus avancée avaient été moins « chauds » que les autres. L’Anru n’avait pas pour objectif d’empêcher les émeutes, même si les opérations conduites intègrent de façon croissante les principes de la 

prévention situationnelle (prévention de la délinquance par l’aménagement urbain) : création de voiries traversantes pour faciliter l’accès des voitures de police, enterrement des containers à ordures pour éviter les feux de poubelles, sécurisation des transformateurs électriques pour empêcher les émeutiers de couper l’éclairage public…
Pour évaluer la rénovation urbaine, il faut partir des objectifs initialement fixés : la mixité sociale et le développement durable. Ce second point a été rapidement oublié par l’Anru et les acteurs locaux, qui ont fait de la mixité leur objectif central. Il s’agissait d’organiser une mixité exogène, en attirant des populations venues de l’extérieur. Il fallait donc restaurer l’attractivité des quartiers, en banalisant l’urbanisme et l’offre de logements. Vingt ans après la loi Borloo, force est de constater que cela n’a pas marché : les quartiers rénovés demeurent des quartiers très populaires, contrairement aux espoirs des acteurs de la rénovation urbaine et aux craintes de ceux qui dénonçaient une politique de gentrification qui reléguerait les pauvres toujours plus loin. Ceci s’explique largement par le choix fait en 2003 d’organiser cette politique à l’échelle communale. Ce choix a facilité la mise en oeuvre rapide des opérations, mais elle réduisait le potentiel de déconcentration de la pauvreté par la démolition- reconstruction. Pour atteindre l’objectif de mixité, il aurait sans doute fallu organiser les opérations à l’échelle intercommunale comme le promeut désormais l’ANRU, ou privilégier une logique plus endogène, centrée sur la promotion des parcours de mobilité sociale et résidentielle sur place des habitants déjà là.

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