ENTRETIEN

Patrick Ollier « Je suis en colère contre ceux qui ont supprimé la politique d’aménagement du territoire… »

Enfant du monde rural, gaulliste de la première heure, Patrick Ollier est aujourd’hui à la tête de la plus grande unité urbaine de France : la Métropole du Grand Paris.
La rédaction
La rédaction
Publié le 25 mai 2023
Entretien réalisé par Frédéric Durand
— Avant d’aborder plus particulièrement la Métropole du Grand Paris, quel regard portez-vous sur l’aménagement du territoire au niveau national ?

Patrick Ollier : J’ai été rapporteur général de la loi Pasqua à l’Assemblée nationale en 1995, la dernière loi qui fut votée sur l’aménagement du territoire. Et je suis fou de rage contre ceux qui ont supprimé cette politique d’aménagement du territoire, fait disparaître la DATAR et supprimé le Commissariat au plan, l’un travaillant dans le temps, l’autre dans l’espace. Il n’y a plus de politique d’aménagement, et aujourd’hui l’État, qui doit être un État arbitre, un État juge, n’existe plus. C’est le chacun pour soi qui l’emporte dans les régions, avec ses différentes collectivités, les départements, les métropoles, les communes et les intercommunalités. Et il n’y a plus personne pour rappeler les règles du jeu sur le plan national. On en souffre énormément, et on en souffre aussi au niveau métropolitain et régional. Vous savez, je suis un vieux gaulliste, et à ce titre je continue de défendre une vraie politique d’aménagement du territoire. J’avais d’ailleurs fait voter à l’époque, dans un amendement, la création des zones de revitalisations rurales (ZRR). J’étais député des Hautes-Alpes, je suis issu du monde rural, du Périgord, j’ai la fibre rurale, ancrée dans ma tête et dans mon coeur. J’ai vu ces pays ruraux en souffrance qui se désertifient. Aujourd’hui, c’est encore pire qu’hier !

— Vous êtes désormais à la tête de la plus grande métropole française, dans l’hyperurbain. Comment fait-on pour s’entendre et dialoguer avec les acteurs des différents échelons : État, régions, départements, communes, territoires… Cela suppose pas mal de diplomatie ?

P.O. : Tout d’abord, j’ai créé la gouvernance partagée à la Métropole du Grand Paris. C’était pour moi essentiel. Il y a 208 conseillers métropolitains, Anne Hidalgo est ma première vice-présidente, et j’ai des vice-présidents communistes, socialistes, verts, écologistes, centristes et républicains. Les Républicains sont majoritaires, mais je n’ai jamais voulu que l’on mette en avant notre majorité. Et je n’ai jamais regardé la couleur politique de ceux qui travaillent avec moi. Je m’en tape éperdument, et pour une raison simple : quand on fait de la GEMAPI (gestion des milieux aquatiques et prévention des inondations, NDLR), ce n’est ni de gauche ni de droite. Quand on fait « Centres-Villes Vivants » pour sauver les centres villes non plus. La seule question qui vaille sur ce type d’action, c’est : faut-il les réaliser ou non, et nous, on décide de les réaliser, voilà tout ! Le principe de la Métropole, c’est de parvenir à gérer les problèmes des habitants sur une zone dense continue.

« Ce n’est pas la structure juridique métropolitaine qui crée les déséquilibres : si elle n’existait pas, les inégalités demeureraient !

— Mais aux yeux des habitants, justement, cette Métropole n’apparaît-elle pas au mieux comme une énigme, au pire comme un monstre technocratique ?

P.O. : Écoutez, les départements et les communes ont plus de deux siècles, les régions plus de 70 ans, nous n’existons que depuis 5 ans ! Et malgré ça, je pense qu’on a réussi à rendre la métropole lisible et crédible. Mais c’est vrai, nous ne sommes pas arrivés à impliquer suffisamment les populations, et je m’en veux parce qu’on avait commencé à lancer des réunions publiques, que j’ai stoppées parce que le président de la République, à l’époque, avait dit qu’il allait changer la loi. Mais il ne l’a pas changée pour des raisons d’opportunité politique — j’imagine qu’après la contestation des Gilets jaunes, ce n’était pas simple pour lui. Il a donc reporté la réforme territoriale.

— Pour autant, la Métropole continue de générer des peurs, elle concentre toutes les richesses et donne le sentiment de tout aspirer autour d’elle. Comprenez-vous ces craintes ?

P.O. : Non, elle n’aspire pas tout autour d’elle ; oui, elle crée l’essentiel des richesses. Mais soyons clairs, ce n’est pas la structure juridique métropolitaine qui crée les déséquilibres : si elle n’existait pas, les inégalités demeureraient ! Alors qui faudrait-il accuser ? Je le précise parce que certains voudraient justement la voir disparaître, mais ce serait pire. D’ailleurs je dis souvent aux départements, aux communautés d’agglomérations ou aux communes qui nous entourent : plutôt que de vous focaliser sur ce que la Métropole pourrait vous prendre, réfléchissez à ce qu’elle pourrait vous donner. Créons une convention stratégique de coopération, mettez sur la table les quatre ou cinq projets qui vous tiennent particulièrement à cœur, et voyons comment on peut vous aider à les réaliser, dès lors que ça rentre dans le périmètre de nos compétences. Là où je suis d’accord avec vous, c’est que l’abandon de toute politique d’aménagement au niveau national a créé une logique injuste de développement des territoires que les autres subissent, mais cette dynamique serait strictement identique si la Métropole du Grand Paris n’existait pas.

« Je pense qu’en grande partie, le travail de la Métropole c’est de rétablir les équilibres territoriaux. Faire en sorte de venir en aide aux communes défavorisées. »

— En attendant, vous avez réussi à mettre en place un Schéma de cohérence territoriale (Scot) qui a été largement approuvé…

P.O. : Il a été voté à 94,2 % ! Je tiens là encore à le préciser, parce qu’à l’époque, on me disait : « Patrick, tu n’y arriveras jamais… » Désimperméabilisation des sols, 30 % de pleine terre, protection des espaces naturels… Tout est à l’intérieur de ce document, et c’est l’acte fondateur de la Métropole, sa colonne vertébrale pour les quinze ans à venir. J’ai lancé le premier concours « Inventons la Métropole du Grand Paris » il y a quatre ans, avec nos équipes qui ont fait un travail extraordinaire. C’est le plus grand appel à projets d’architecture et d’urbanisme d’Europe. Nous en sommes à la troisième édition du concours aujourd’hui, alors même que ça semblait impossible à réaliser. Nous avons travaillé dur, et la présentation au Pavillon Baltard à Nogent-sur-Marne fut un succès hors norme. J’imaginais alors que nous allions attirer deux ou trois cents personnes, mais nous en avons attiré 1 400 pour 730 projets avec une centaine de candidatures ! J’étais bluffé, vraiment. Bien sûr, avec les recours, ce n’est qu’à présent que les premiers projets commencent à sortir de terre. Et j’en ai déjà inauguré deux, dont un, porté par le Campus Urban Valley, un centre de recherche d’Engie qui a été créé à Pierrefitte/ Stains sur une ancienne zone abandonnée. C’étaient alors des espaces qui n’intéressaient personne, mais grâce à nos concours, nous avons pu construire des projets utiles dans ces zones délaissées. Nous parlons pour l’ensemble des appels à projets de 2,8 millions de mètres carrés à construire, de près de 12 milliards d’investissements ! Plus de 17 000 logements, dont 3 000 logements sociaux. Je regrette que personne n’en parle davantage… D’autant que l’essentiel des investissements est privé, avec quelques interventions de la Banque des Territoires ou de la Métropole, lorsque cela se justifie.

© Alice Mascher
— Néanmoins, de fortes disparités demeurent au sein de la métropole parisienne. Le revenu moyen par habitant varie du simple au double selon les territoires… Quels sont les leviers pour tenter de juguler ces inégalités ?

P.O. : C’est une question centrale. Je pense qu’en grande partie, le travail de la
Métropole c’est de rétablir les équilibres territoriaux. Faire en sorte — dans la limite de nos compétences, bien sûr — de venir en aide aux communes défavorisées. D’ailleurs, si vous regardez, sur les onze projets d’aménagement en cours, ils sont tous à l’est et au nord de Paris ! Mais ne nous y trompons pas, énormément de communes sont aujourd’hui en difficulté. Je suis maire de Rueil-Malmaison, une ville considérée « riche » et que l’on taxe désormais chaque année à hauteur de 15 millions d’euros dans le cadre de la péréquation. C’était 4 millions en 2014 ! Si bien que même les villes moins exposées, comme la mienne, finissent par se fragiliser… Pour autant, je ne lâche pas cette
volonté de rééquilibrage : le FIM (Fonds d’investissement métropolitain), c’est deux tiers, un tiers, deux tiers de projets dans l’est et le nord de Paris. Nous avons donné 13 millions d’euros pour le projet d’aménagement de la Porte de la Chapelle d’Anne Hidalgo dans le 18e arrondissement, et autant à Stéphane Troussel, le président du Conseil départemental de Seine–Saint-Denis, à la veille des Jeux olympiques pour le Prisme, un équipement sportif inclusif à Bobigny… C’est un projet magnifique !

— Pour lutter contre la désertification des centres-villes, vous avez également proposé une loi, qui porte votre nom…

P.O. : Oui, et j’ai défendu à l’époque cette loi contre l’avis de mon gouvernement. Il s’agissait avec cette loi de reprendre la main sur le développement des centres-villes en donnant la possibilité aux élus de préempter les baux commerciaux. Pourquoi ? Dès lors qu’un commerçant traditionnel partait à la retraite et vendait son commerce, c’était immédiatement une banque, si le local était suffisamment spacieux, ou une agence immobilière pour les commerces plus petits, qui reprenait le bail. Résultat, les centres-villes perdaient inexorablement de leur vitalité et de leur attraction. Dans un cas pareil, la municipalité peut désormais préempter le bail au prix des Domaines et elle a deux ans pour le revendre à un commerce que la ville a choisi. Imaginez que sur les 131 villes qui composent la Métropole, 71 ont un centre ville en désertification, c’est énorme ! En s’inspirant des dispositions de « ma loi », j’ai donc créé à la Métropole le programme « Centres-villes vivants » qui permet de
soutenir et d’accompagner les maires qui le souhaitent dans la réhabilitation de leur centreville. Il y a aujourd’hui 40 villes qui sont prioritaires, comme Valenton ou Villeneuve-Saint-Georges, dont le centre-ville a perdu toute vitalité et où la délinquance prend souvent le relais.

« Moi je me bats pour une “Métropole des maires”, avec les 131 maires qui la composent »

Pour permettre ça, j’ai décidé de créer à la Métropole une foncière commerciale qui assure le portage des opérations de préemption. Souvent, les banques ou les agences immobilières vont vouloir s’imposer en proposant par exemple pour tel bail 130 000 euros, bien au-dessus du prix du marché en réalité. Je préempte à 80 000 euros si c’est le prix des Domaines, mais bien sûr le commerçant est dépité, alors je lui propose la chose suivante : je vous trouve un client à 100 000 euros, soit vous acceptez, soit c’est le prix des Domaines. Ceci est possible
grâce à cette foncière, car certaines villes qui veulent choisir leurs types de commerces n’ont pas pour autant les moyens financiers pour passer ce marché.

— Dans un récent rapport, la Cour des comptes décrit la Métropole du Grand Paris comme un nain budgétaire, qui n’a pas les moyens de ses ambitions et propose la suppression des Territoires  pour ne conserver que la Ville de Paris et les départements de la petite couronne. Qu’en pensez-vous ?

P.O. : Je pense qu’elle a raison. En réalité les Territoires (Établissements publics territoriaux — EPT, NDLR) ne font pas partie aujourd’hui juridiquement de la Métropole. Ils font ce qu’ils veulent, ils ont le budget qu’ils
veulent, ils ont des compétences qui sont différentes de celles de la Métropole et nous n’avons aucun regard sur ces EPT alors qu’ils sont sur le périmètre métropolitain. La loi les a créés en même temps qu’elle a créé la Métropole, mais je continue de penser que c’était une erreur. Moi je me bats pour une        « Métropole des maires », avec les 131 maires qui la composent. On pourrait imaginer que la géographie des départements soit maintenue, pour préserver de la proximité, et transformer ces Territoires en « unités déconcentrées de la Métropole ». Ces unités préserveraient leur budget, mais seraient dans un travail coordonné avec le Bureau et le conseil métropolitain. Ce serait plus
logique et plus clair pour tout le monde.

 

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