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Faibles émissions, grosse colère ?

La rédaction
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Publié le 15 décembre 2022
Les véhicules les plus anciens se voient bannis des centres-villes pour garantir la qualité de l’air.
Par Bruno Lafosse

Les zones à faibles émissions nous promettent un bon bol d’air pur… mais elles risquent de faire tousser plus d’un automobiliste, surtout chez les plus modestes. À l’origine, il y a la réponse à une urgence : Santé publique France estime à 40 000 décès par an et près de 8 mois d’espérance de vie perdus en lien avec l’exposition aux particules fines. D’où la création en 2019 de zones à faibles émissions mobilité (ZFE-m), rendues obligatoires dans les secteurs urbains où les valeurs limites de qualité de l’air sont dépassées.

Après Paris et le Grand Paris, Lyon, Grenoble, Aix- Marseille, Montpellier, Nice, Rouen, Strasbourg, Toulon et Toulouse ont instauré ces zones le 1 septembre 2022. Dans ces zones, la circulation des véhicules les plus polluants est limitée, et la prime à la conversion peut bénéficier d’un supplément. Les véhicules les plus polluants identifiés par les vignettes Crit’Air 4 et 5 sont soumis à des restrictions de circulation, voire à des interdictions comme à Lyon, Aix-Marseille ou Rouen. La mise en service des zones à faibles émissions mobilité (ZFE-m) s’avère toutefois plus ardue que prévu. Premier problème : l’information. D’après un sondage Harris de 2021, en France, 60 % des sondés ignoraient ce qu’était une ZFE-m ! Certes, le message commence à passer, mais nombre d’automobilistes concernés ignorent encore les restrictions dont ils vont faire l’objet. Autre souci, celui de l’acceptabilité de telles mesures, d’autant qu’en face, l’offre de transports en commun et d’aménagement en circulations douces sécurisées n’est pas encore à la hauteur. On le mesure en Île-de-France, où bus, métros et RER sont saturés entre pénurie de conducteurs, réseau ferré dégradé et incidents à répétition. Or, la crise des Gilets jaunes avait été déclenchée par une mesure de taxation accrue du gazole. Pas sûr qu’après une année d’inflation générale et d’envolée des prix des carburants, les Français acceptent de nouvelles contraintes.

38 % des ménages les plus pauvres avaient un véhicule classé Crit’Air 4 ou 5, contre 10% parmi les ménages les plus riches !

Dépendance automobile

Mais c’est sur le plan social que le passage en ZFE-m comporte des risques importants. D’après l’Insee, en 2019, 38 % des ménages les plus pauvres avaient un véhicule classé Crit’Air 4 ou 5, contre 10 % parmi les ménages les plus riches ! Autre souci : ce sont également les habitants des communes rurales et périurbaines qui possèdent le plus fréquemment des véhicules les plus polluants (environ 25 %, contre 14 % dans l’unité urbaine de Paris). Cependant, ces territoires sont aussi ceux où la dépendance automobile est la plus forte. On peut toujours inciter les automobilistes à se convertir à l’électrique. Mais, là encore, gare à la facture : pour une citadine Peugeot 208, comptez 34 000 euros pour la version électrique, contre 20 000 euros pour la thermique. Même avec bonus et prime allant jusqu’à 7 000 euros pour les ménages les plus modestes, difficile d’investir dans un véhicule neuf quand la bonne vieille automobile continuait de faire son office. D’après EDF, il faudra attendre 2027 pour que l’achat d’une voiture électrique soit plus économique que celui d’une voiture thermique.

Questions en suspens

Le 12 octobre, Gérard Leseul (PS) et Bruno Millienne (MoDem), les deux députés rapporteurs de la mission flash constituée pendant l’été à l’Assemblée nationale, s’alarment. « L’augmentation prochaine du nombre de ZFE-m déployées ainsi que le franchissement d’un mur « quantitatif », avec des restrictions de circulation qui seront progressivement étendues aux véhicules Crit’Air 3, voire 2, auront un impact considérable sur les mobilités, et par conséquent, sur l’accès aux activités quotidiennes et aux droits de millions d’habitants. Le déploiement des ZFE-m soulève des questions majeures d’acceptabilité et de justice sociale, qu’il nous faut anticiper dès à présent », préconisent-ils. Les parlementaires formulent vingt propositions pour améliorer l’information, organiser la concertation, offrir des alternatives de mobilité aux automobilistes, et harmoniser les aides variables en fonction des territoires.

Le 25 octobre, le gouvernement a organisé un premier comité ministériel sur les zones à faibles émissions mobilité avec les 43 maires et présidents des territoires concernés par leur mise en place d’ici 2024. À cette occasion, les élus de « France urbaine » (qui regroupe les grandes villes de France, les métropoles, les communautés urbaines et communautés d’agglomération) ont rappelé que « la mise en place des zones à faibles émissions pose encore de trop nombreuses questions laissées en suspens depuis deux ans par l’État, tant sur les modalités concrètes de mise en œuvre que des mesures d’accompagnement des particuliers et des professionnels impactés ». Et de réclamer à la fois plus de contrôle avec une automatisation des dispositifs, faute de quoi, les ZFE-m seront inefficaces, et plus de soutien, notamment financier, aux métropoles, mais aussi aux territoires voisins pour développer les alternatives, comme le covoiturage, les RER métropolitains ou les lignes de bus express. Sans les adaptations et les accompagnements nécessaires, on touchera rapidement aux limites d’une écologie seulement punitive. En stigmatisant les populations les plus pauvres, on prend le risque de l’injustice sociale et d’une colère qui bloquerait toute velléité de changement. N’oublions pas que, même en roulant dans une coûteuse berline électrique conçue par Elon Musk, les riches restent les plus gros pollueurs

Tout savoir sur la zone à faibles émissions mobilité

Depuis la loi d’orientation des mobilités (LOM) de 2019, l’instauration de zones à faibles émissions mobilité (ZFE-m) est obligatoire dans les secteurs urbains où les valeurs limites de qualité de l’air sont dépassées. Onze agglomérations étaient concernées en 2019. La loi Climat et résilience a étendu les ZFE-m à l’ensemble des agglomérations de plus de 150 000 habitants : 45 agglomérations seront concernées en 2025, soit 44 % de la population française. Les ZFE-m actuellement mises en place visent les véhicules classés Crit’Air 4 et 5 avec une verbalisation possible : 68 € pour les véhicules légers, et 135 € pour les poids lourds. Les restrictions de circulation vont progressivement être étendues aux véhicules Crit’Air 3, voire 2, avec la mise en place de radars pour automatiser les contrôles. Pour aider les ménages à s’équiper en véhicules moins polluants, un premier comité interministériel sur les zones à faibles émissions mobilité (ZFE-m) s’est tenu le 25 octobre 2022. Il a annoncé trois mesures d’aides : bonus écologique de 7 000 euros pour l’achat d’un véhicule électrique pour les ménages aux revenus les plus modestes ; prime à la conversion renforcée de 1 000 euros pour les bénéficiaires qui habitent ou travaillent en ZFE-m, et expérimentation d’un prêt à taux zéro sous conditions de ressources pour l’acquisition d’un véhicule plus propre (à partir du 1er janvier 2023).

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