« Nous sommes contactés par de nombreuses villes, des porteurs de projets, qui
veulent connaître notre démarche pour s’en inspirer. » Caroline Clémensat, directrice des Franciscaines, est intarissable sur le sujet. Pour bâtir le projet d’un lieu culturel accessible à tous à Deauville, il a fallu du temps… et de la détermination. « Le maire, Philippe Augier, déjà lorsqu’il était adjoint en 1995, puis maire à partir de 2001, avait la volonté de faire de la culture un axe majeur du développement de la ville », résume-t-elle. Deauville, célébrée pour son champ de courses, son casino, ses plages et son festival du cinéma américain, manquait d’un lieu où la culture pourrait s’installer durablement.
Mais il fallait viser juste : les grandes villes ont tendance à spécialiser les lieux de culture, et les plus petites, elles, n’ont souvent pas les moyens d’en créer. Deauville voulait se doter d’un équipement culturel atypique où se mélangent les arts et les parcours. « À côté des œuvres de Monet, on met des bandes dessinées, ou des jeux… parce que c’est un moyen de décomplexer le rapport à la culture », justifie Caroline Clémensat. Et en ce matin du mois de juin, les nombreux visiteurs venus assister au vernissage de l’exposition du peintre néerlandais Kees Van Dongen (1877-1968) semblent lui donner raison. La mixité des profils, le mélange des générations et des classes sociales sont des enjeux essentiels pour la ville. « Je viens d’un milieu très modeste, et je me suis rendu compte à quel point la culture me manquait, parce qu’au-delà de l’acquisition des savoirs, la culture vous permet de vous construire, c’est un élément fondamental de l’égalité des chances… », confie Philippe Augier. Aussi, lorsqu’en 1995, la maire de l’époque, Anne d’Ornano, lui propose d’entrer dans son équipe comme adjoint au tourisme, il demande d’ajouter à ses prérogatives la culture et la communication. Problème : comme dans nombre de villes balnéaires, principalement axées sur la détente et les loisirs, de budget culture, il n’y en a tout simplement pas ! Le futur jeune élu ne se dégonfle pas pour autant : « Alors, il faudra en créer un ! » réclame-t-il à l’édile.
Et ce fut fait. Reste que, vingt plus tard, pour créer un lieu de qualité et accessible à tous, il aura fallu s’affranchir des codes en imaginant un équipement « couteau suisse » comme aime à le décrire sa directrice. Sur plus de 6 200 m², l’ancien couvent des Franciscaines, magnifiquement rénové, offre au visiteur une succession d’espaces : salle de spectacle et de conférence, médiathèque, musée, lieu d’exposition temporaire, espace de restauration… On rassemble ici
des fonctions que les visiteurs vivent d’ordinaire séparément. Et c’est dans l’esprit de rompre cet isolement des arts et d’offrir, dans un même lieu, des parcours culturels singuliers et diversifiés que les Franciscaines ont été conçues avec des salles à thèmes.
2011, un rebond inattendu
Plusieurs fois mis en berne pour des raisons économiques, notamment après la crise de 2008, période où la ville va devoir freiner ses investissements, le projet va finalement connaître un rebond inattendu en 2011 lorsque Nicole Rachet, la veuve du peintre André Hambourg, décédé en 1999 et familier des plages normandes, décide de faire un don de cinq cents œuvres de la collection personnelle du couple à la ville. L’objectif de bâtir un lieu pérenne pour exposer le travail du peintre devient désormais une urgence. Au même moment, le maire apprend que les sœurs franciscaines confirment leur souhait de quitter le couvent pour s’installer ailleurs et décide immédiatement d’investir les lieux. Cette fois, les planètes sont enfin alignées, et le vœu de la ville, de créer un nouvel équipement culturel à la hauteur de ses ambitions, exaucé.
« C‘est en faisant de la qualité qu’on est accessible à tous, le beau ça parle à tout le monde ! »
Caroline Clémensat,
directrice des Franciscaines
Du beau pour tous
« Un lieu populaire, rassembleur et ouvert à tous », selon les mots de sa directrice qui n’entend cependant pas en rabattre sur la qualité ; à cet égard, Caroline Clémensat est catégorique : « c’est en faisant de la qualité qu’on est accessible à tous, le beau, ça parle à tout le monde ! » tranche-t-elle. Et ça marche :
« Imaginez-vous qu’aujourd’hui les adolescents se donnent rendez-vous aux
Franciscaines ! » lâche fièrement le maire. Car l’un des enjeux était d’attirer une jeunesse qui se tient souvent à distance des lieux institutionnels. Outre les installations numériques et le Fab Lab qui suscitent naturellement l’engouement des adolescents, la gratuité ou les tarifs très modestes pratiqués, pour l’essentiel
des activités proposées, jouent un rôle dans la fréquentation du lieu.
Sérénité et respect
Enfin, la réussite tient aussi à la beauté du lieu, un lieu qui inspire la sérénité et le respect de l’avis des visiteurs eux-mêmes. « Souvent, dans la création de ce type d’édifice, on privilégie le geste architectural au détriment de la fonctionnalité ; ici, nous avons réussi à combiner les deux, c’était l’une de nos exigences », se félicite le maire.
Mais, il y a aussi autre chose dans cette fluidité et ce respect qui relie les visiteurs au lieu : « Il faut faire confiance aux gens, nous exposons des toiles de maître : au départ, les visiteurs pensaient qu’il s’agissait de reproductions parce que nous laissions un libre accès aux œuvres, mais vous savez, très souvent, le comportement des gens est lié au regard qu’on porte sur eux. S’ils sentent qu’on leur fait confiance, ils agissent en conséquence, ils se comportent comme on les regarde… » conclut Philippe Augier. Confiance, désir d’offrir le beau à tous, le public de Deauville est particulièrement gâté avec Les Franciscaines qui signe la volonté de la ville de se réinventer par la culture.
EXPOSITION – Les Franciscaines
Automaton
Denis Rouvre
De 2004 à 2007, le photographe Denis Rouvre a parcouru les festivals de
Cannes, de Deauville et la cérémonie des Césars en déléguant aux acteurs la prise de vue de leur portrait. Denis Rouvre propose d’inverser le processus de prise de vue : l’acteur et modèle devient photographe. Seul, à l’abri des regards, déclencheur en main, dans un studio conçu spécifiquement, il ou elle se livre à toutes les libertés en douze poses possibles.
Jusqu’au dimanche 1er janvier 2023
– 10h30 > 18h30 Univers Spectacle.
Gratuit / accès libre sans réservation