Vêtus de noir, le visage recouvert d’une capuche, assis sur des fauteuils abandonnés, une canette à portée de main, les guetteurs, vendeurs, ravitailleurs sont l’armée visible du trafic de stupéfiants. Une main-d’œuvre malléable et soumise.
Le 18 août dernier, vers 22 heures, deux hommes pénétraient à bord d’un scooter dans la cité des Marronniers, un des hauts lieux du deal des quartiers nord de Marseille. Le passager, armé d’un fusil d’assaut de type kalachnikov, tirait en direction du point de guet où se trouvaient deux adolescents. Grièvement blessé par balles au thorax et la jambe, Rayanne, 14 ans, décédait en arrivant à l’hôpital. Son ami était blessé au mollet et aux côtes. Dans la fusillade, un enfant de 8 ans qui se trouvait dans la voiture de ses parents était blessé sans gravité au front par un éclat métallique.
Depuis le début de l’année, la « guerre de la drogue » a fait au moins 16 morts dans la cité phocéenne, selon le parquet de Marseille (Bouches-du-Rhône). Rayanne, inconnu de la justice, mais fiché par les policiers comme guetteur, est la plus jeune victime. Sa mort a provoqué un vif émoi dans la cité. Pourtant, les jours suivants, le trafic bat son plein. Au pied des immeubles, des adolescents tiennent à nouveau un point de deal ; toutes les entrées de la cité sont contrôlées ; les barrages de pneus, poubelles ou palettes de bois ont été réinstallés. Choufs (guetteurs, NDLR), charbonneurs (vendeurs, NDLR), ravitailleurs (qui apportent le produit au vendeur)… Tous ont repris le travail. Leur boulot ? Contrôler les allées et venues et prévenir de l’arrivée des patrouilles de police.
« Je prenais ma paye, 80 à 100 euros par jour. Parfois 200 »
Nono, un lycéen de 17 ans, ancien guetteur devenu youtubeur, explique : « Guetteur, c’est : tu vas où y a le quartier, tu te postes et tu cries quand y a les condés (policiers, NDLR). » À la cité des Marronniers, la mort de Rayanne le 18 août n’a rien changé. Jour et nuit, les allées de la cité résonnent à nouveau des « Ara ! Ara ! », ces fameux cris d’alerte que la police traduit par « Attention ! » Pour cette mission, qui s’étale sur plusieurs heures, nuit et jour — ici pas de 35 heures : un mi-temps, c’est 10 heures-18 heures ; un temps plein 10 heures-minuit —, les guetteurs des Marronniers seraient, disent-ils, rémunérés « 200 euros la journée pour les plus expérimentés », « 120 pour les nouveaux ». Nono, qui a travaillé il y a deux ans et demi dans une autre cité de Marseille, témoigne de cette triste réalité sur sa vidéo qui a fait plus de 2 millions de vue : « J’avais besoin d’argent. C’est la seule réponse. J’arrivais à 10 h, je me postais. J’étais à l’affût jusqu’au soir où je prenais ma paye, 80 à 100 euros par jour. Parfois 200. »
Dans ces quartiers gangrénés par le trafic, c’est désormais au sein de cette économie souterraine que certains jeunes rêvent aujourd’hui d’un plan de carrière. Car même si dans les faits, rares sont ceux qui dépassent le stade de guetteur, les échelons existent… comme dans n’importe quelle entreprise. Concrètement, un jeune débute à 13-16 ans comme chouf. Il peut ensuite être promu charbonneur, puis ravitailleur. S’il fait ses preuves, il accédera peut-être au rang de banquier, une mission de confiance puisqu’il sera chargé de relever l’argent des ventes. Enfin, il sera propulsé gérant et — s’il n’est pas tué ou arrêté d’ici là —, il pourra prétendre au titre de grand gérant. Dès lors, il ne sera plus sur les points de vente, il sera superviseur.